Un concours Lépine de l’anachronisme, de la caricature et du burlesque ; tel semble le crédo de des pouvoirs publics tchadiens. La décision n° 55 de la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA) du 4 décembre 2024 qui en substance, interdit à la presse en ligne toute production audiovisuelle en est un morceau de choix.
Principe des dispositions spéciales dérogeant aux dispositions générales
"Il est interdit aux organes de presse de publier et/ou de diffuser des contenus non originaux pour lesquels ils ne sont pas autorisés"[1]dixit la HAMA. Cette décision dont la motivation confuse, entretient l’illusion qu’elle vise les médias tous secteurs confondus, est d’abord, discriminatoire car elle n’a, à la vérité, pour seule cible que la presse en ligne comme le prouvent non seulement son dispositif qui évoque « organes de presse » et non le vocable global de « médias », mais également, les nombreuses déclarations publiques du président de la HAMA, attestant de la hargne contre les médias en ligne. Ensuite, elle ne peut survivre au filtre du contrôle légal, pour cause d’excès de pouvoir manifeste au regard à la fois de la légalité externe et de la légalité interne. En effet, elle souffre d’un défaut de légalité externe pour confusion de motifs et pour incompétence, mais elle souffre également d’un défaut de légalité interne, notamment en ce qu’elle manque de base légale et viole de surcroît le principe de proportionnalité. Sans entrer dans des détails de l’argumentaire juridique des griefs dont les avocats de l’Association des Médias en Ligne du Tchad (AMET) auront tout loisir de développer dans leurs recours et plaidoiries devant le juge administratif, il convient simplement de relever quelques points.
La loi n° 31 du 3 décembre 2018, confusément visée par la HAMA dans la motivation de sa décision, consacre des dispositions légales spéciales, applicables à la « la presse écrite et des médias électroniques ». Dès lors, son application ne peut souffrir la concurrence de tout autre texte légal en vertu du principe « spéciala generalibus derogant », autrement dit, les lois spéciales priment sur les lois de portée générale. Or cette loi dite 31, dispose en son article 25, alinéa 3, 2e , de manière, expressis verbis que « le service de presse en ligne offre un contenu utilisant essentiellement le mode écrit et audiovisuel, faisant l’objet d’un renouvellement régulier, daté et non pas seulement de mises à jour ponctuelles et partielles ». Il en résulte clairement que la loi 31 autorise les médias en ligne à produire des contenus audiovisuels. Dès lors, d’où tient la HAMA que les médias en ligne ne peuvent pas produire des contenus audiovisuels tels que les podcastes et les vidéos, si ce n’est de son imaginaire fertilement rétrograde ? Elle n’est pourtant pas investie d’un pouvoir discrétionnaire. Par ailleurs, outre le seul agrément de médias en ligne, la loi 31 ne soumet, nulle part et dans aucune de ses dispositions les entreprises de presse en ligne, à une autorisation complémentaire ou secondaire d’exploitation destinée à couvrir leur production audiovisuelle. Qui plus est, les dispositions de l’article 8 de la loi n° 020/PR/2018 du 10 janvier 2018 sur lesquelles se fonde la HAMA et qui prescrivent l’exigence d’une autorisation d’exploitation pour les productions audiovisuelles, sont inapplicables aux médias en lignes pour deux raisons : la première, cette loi ne vise que les médias demandant leur agrément en qualité de chaine de télévision ou de radiodiffusion comme l’indique formellement sa dénomination. La seconde raison procède de l’antériorité de cette loi à la loi 31du 3 décembre 2018. Or, la seconde déroge à la première. Cherchez l’erreur !
S’il est dans l’intention de la HAMA d’interdire aux médias en ligne, de faire de la production audiovisuelle, qu’elle fasse au préalable modifier la loi 31 par l’Assemblée nationale ou par une ordonnance du gouvernement[2]. Faute quoi, elle ajouterait à l’irrationalité économique, l’arbitraire juridique.
Par ailleurs, quelle est la logique rationnelle d’interdire la production audiovisuelle aux médias en ligne, dirigés par des professionnels, responsables devant la HAMA et la justice et sur lesquels la HAMA dispose et exerce un pouvoir disciplinaire plein et effectif, et les chaines telegram, YouTube, les comptes Facebook, X, etc, qui produisent parfois, si ce n’est souvent, le pire des contenus audiovisuels et sur lesquels la HAMA est à la fois techniquement, juridiquement et administrativement impuissante ?
Théorie de l’accessoire suivant le principal
Par ailleurs, à supposer par extraordinaire que la loi 31 n’autorise à la presse en ligne que la production écrite (ce qui n’est pas le cas) ; une telle restriction du champ d’activités ne saurait pourtant davantage interdire juridiquement à celle-ci de faire de l’audiovisuelle. En effet, il est un adage du répertoire juridique latin que les étudiants de première année de droit, maîtrisent parfaitement de leur cours d’introduction au droit : il s’agit de l’adage « accessorium sequitur principale » ; traduction, « l’accessoire suit le principal ». La théorie de l’accessoire qui trouve des terrains d’élection aussi bien en droit privé qu’en droit public, repose sur l’idée que les droits et obligations accessoires sont liés à un droit ou une obligation principale et suivent son sort, à une double condition : d’une part, l’existence d’un lien de connexité ou de complémentarité entre le principal et l’accessoire et d’une part, le volume ou la proportion de l’accessoire doit demeurer moindre au regard de celui du principal. Ainsi par exemple dans le domaine des professions intellectuelles libérales : les avocats dont l’activité principale consiste dans la représentation, l’assistance et le conseil juridique aux clients font accessoirement de la rédaction d’actes qui relèvent pourtant du monopole des notaires. Les notaires à leur tour, font du conseil aux clients accessoirement à leur activité de rédactions d’actes alors que le conseil est du ressort des avocats. Les experts-comptables qui fournissent des prestations comptables, financières et fiscales, font accessoirement du conseil juridique et parfois de la rédaction d’actes qui relèvent des professions juridiques. Ainsi donc, sur le seul fondement de la théorie de l’accessoire, les médias en ligne peuvent logiquement et sans autorisation d’exploitation, publier les versions audiovisuelles des articles, reportages, éditoriaux, tribunes et même les rushs et making of des interviews qu’ils publient ou réalisent à condition que la proportion demeure raisonnable par rapport à la production écrite dès lors que la connexité ou de complémentarité ne souffrent contestation.
Internet est un vecteur de média globale
Au-delà de l’aspect juridique, il semble échapper à la HAMA qu’Internet, par la digitalisation, a provoqué une révolution copernicienne de l’activité et de la production médiatiques. Cet outil permet à la télé de faire à la fois de la radio et de la presse écrite ; à la radio de faire à la fois de la télé et de la presse écrite et à la presse écrite de faire à la fois de la télé et de la radio et avec un seul et même agrément ou autorisation d’exploitation. C’est le sens de la marche et de l’HISTOIRE. Internet offre aux journalistes d’infinies facultés d’activité médiatique globale et renouvelle au demeurant les fondamentaux de la formation académique et du métier de journaliste. Fini la radio à papa, fini la télé à papa, fini la presse écrite à papa. Tous les régulateurs de médias du monde s’y sont faits à l’exception peut-être de celui de la République de la Corée du Nord. Le Tchad souhaiterait-il jouer aux derniers des Mohicans avec la Corée du Nord à moins de vivre dans l’univers parallèle du scénario du film « Good Bye Lenin » ?
En effet, à l’ère d’Internet, les anciens vecteurs hertziens de diffusion que sont les ondes électromagnétiques, radioélectriques (ondes courtes ou longues, FM), ou encore, le câble et le satellite sont encore certes opérationnels, mais ne seront pas l’avenir des véhicules médiatiques. L’avenir est aux télés en ligne, aux radios en ligne et à la presse en ligne. D’ailleurs le modèle économique des médias classiques n’est plus viable sans la digitalisation, permettant d’offrir à la fois le papier et le numérique, le direct et le podcastes ou la vidéo et le film à la demande, la diffusion hertzienne, la TNT ou le satellitaire et le streaming, etc.
Croisade du Président de la HAMA contre les médias en ligne
Dans ses propos publics, le président de la HAMA dans une espèce de croisade contre les médias en ligne, invoque pêle-mêle la dangerosité de l’internet et reproche aux acteurs des médias en ligne, leur vicissitude. Par un raisonnement par l’absurde, il peut lui être objecté que certes Internet est dangereux, mais il l’est autant que l’eau, la pluie, le feu, la voiture ou l’avion qui sont pourtant indispensables. Quant-à la vicissitude des acteurs des médias en ligne, consistant dans la pratique d’une tarification des interviews et de portraits ; c’est une pratique qui ne grandit pas le métier et qui plus est, contrarie l’éthique et la déontologie journalistique. Mais pourquoi seulement mettre à l’index les acteurs des seuls médias en ligne dès lors qu’il est de notoriété publique que sans un « gombo » substantiel, y compris des services de l’État, ministres et consorts DG et hauts commis de l’État, aucun reportage, portrait, documentaire n’est diffusable sur les chaines publiques de l’ONAMA pourtant financées ou subventionnées par le denier public ?
Le président de la HAMA exige un traitement nuancé et équilibré de l’information par les rédactions de la presse en ligne, mais lui-même n’en a pas dans son expression publique à leur égard. Sauf son respect, sa phraséologie empreinte de morgue à l’égard de ceux-ci, est de celle du lexique de l’école des cadres de l’UNIR sous Hissein HABRÉ[3]. L’ONAMA qui sert, du réveil au coucher, le moindre fait partisan du Président de la République et du MPS, semble pourtant échapper à l’autorité de sa juridiction.
Régulation n’est pas synonyme de prohibition
Il faut croire que dans la sémiologie de la HAMA, le vocable « régulation » s’entend de la prohibition ou de l’interdiction. Car en effet, comment expliquer, à défaut de justifier, l’interdiction des émissions radiophoniques et télévisuelles interactives en période électorale ; période par essence et excellence du débat public et du vif intérêt du public pour la question politique et les offres inhérentes des partis et regroupements politiques ? Quand ailleurs, les médias, tous supports confondus adoptent des dispositifs spéciaux avec des émissions interactives pour confronter le personnel politique aux citoyens et leur quotidien sans filtre, au Tchad, c’est tout l’inverse. Non seulement la HAMA suspend les émissions interactives existantes, mais pire, elle interdit les rediffusions des émissions interactives pendant cette période. À croire qu’elle juge indigne d’intérêt, l’opinion des citoyens dont le suffrage est pourtant, semble-t-il, disputé par les parties politiques et leurs candidats ?
La HAMA est investie d’un pouvoir disciplinaire à l’égard des hommes et femmes, et des entreprises de médias. Il lui revient de constater les infractions individuelles à la loi, à l’éthique et à la déontologie du métier et de les prévenir et, en cas de persistance ou de récidive, de les réprimer avec l’éventail de sanctions à sa disposition en fonction de la gravité de l’atteinte et aux troubles. Chercher la facilité d’une interdiction de portée générale, procède non seulement de l’arbitraire, mais surtout de la paresse intellectuelle doublée de l’incompétence si ce n’est de l’indignité de sa charge de régulateur public.
Orléans le 16 décembre 2024
Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit, maître de conférences à l’université
[1] Article 1er de la décision n° 055/HAMA/SG/2024
[2] C’est d’autant plus facile pour la HAMA qu’il est dans les habitudes du régime Deby de procéder à l’adoption des actes les plus importantes de la Nation par ordonnances gouvernementales.
[3] Il est vrai que le MPS et le pouvoir Deby ont industriellement recyclé la méthode de gouvernance de Habré, mais également ses cadres.
La médiation de Bassirou Diomaye Faye était annoncée comme celle de la dernière chance. À l’initiative de ses homologues de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), le nouveau président sénégalais s’est employé à ramener les pays de la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES) dans le giron de la Cedeao. Ils ont non seulement réitéré leur volonté de quitter cette communauté régionale qu’ils considèrent comme inféodée aux « puissances étrangères », notamment à la France. En outre, cette décision est, selon ces États, « irréversible ». Le chef de l’État du Niger, le général Abdourahmane Tchiani, l’a rappelé dans une récente allocution avec clarté et fermeté : « Notre pays a décidé, avec deux autres pays frères, de quitter la Cedeao. ll s’agit d’une décision irréversible, car longuement et mûrement réfléchie.»
Ce propos laconique du chef de l’État du Niger mérite qu’on s’y arrête bien plus que ne l’ont fait jusqu’à présent la plupart des médias et les analyses sur l’Alliance des États du Sahel.
Pourquoi le général Abdourahamane Tiani juge-t-il nécessaire de souligner que cette décision « irréversible » a été « longuement et mûrement réfléchie » ? Il a certainement à l’esprit les nombreuses réserves, y compris parmi les citoyens des pays membres de l’AES, qui estiment que la décision de faire bande à part en Afrique de l’Ouest, en marge de la Cedeao, a non seulement été précipitée, mais en outre, n’a justement pas été « mûrement réfléchie ».
Si, en théorie, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont jusqu’au 29 janvier 2025 pour rendre leur départ définitif, la Cedeao, ou ce qu’il en reste, lors de son sommet du 15 décembre 2024 à Abuja, leur accorde six mois supplémentaires pour réintégrer l’institution communautaire, s'ils le souhaitent.
Un départ aux multiples conséquences pour l'AES
Il est indéniable que le départ de ces pays de la Cedeao ne sera pas de tout repos pour les États de la nouvelle Alliance des États du Sahel (AES) et pour diverses raisons.
Il faut d’ores et déjà souligner que dans l’histoire des relations internationales, une institution communautaire, même en temps de paix, ne se crée pas sur un coup de sang. Un tel projet doit passer par un long et laborieux processus de maturation. Cette décision devrait être soupesées au trébuchet des intérêts des peuples qui constitueront cet ensemble d’une part, aux conséquences qui s'ensuivraient dans les rapports de la nouvelle entité avec les États tiers, enfin aux moyens qui seront consacrés au positionnement, voire au rayonnement de ce nouvel ensemble sur la scène internationale.
Sans ce travail préalable, à la fois idéologique et diplomatique, mais aussi logistique, une nouvelle entité communautaire ne serait qu’une coquille vide.
L'organisation de l'Unité africaine (OUA), l’Union africaine (UA), les Communautés économiques régionales(CER) africaines, ont été créées au terme d’un long processus diplomatique et de maturation institutionnelle.
De quel poids diplomatique pourra peser l’Alliance des États du Sahel (AES) à côté des communautés régionales existantes ?
La nouvelle AES pâtit tout d’abord d’un déficit de légitimité existentielle si l’on s’en tient à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de l'Union africaine adoptée par la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’institution continentale lors de son huitième Sommet tenu à Addis-Abeba, en Éthiopie, du 29 au 30 janvier 2007.
Régimes militaires
Fait rare et inédit en Afrique, l’AES est exclusivement constituée de régimes arrivés au pouvoir par des coups d’États militaires, donc qui ne sont pas encore pleinement reconnus par l’Union africaine, ce d’autant plus qu’ils se sont présentés comme des régimes de transition et ont pris l’engagement de rétablir l’ordre constitutionnel.
Par conséquent, la question de la durabilité de l’Alliance des États du Sahel est d’autant plus posée qu’elle est créée par des régimes en théorie transitoires et sans légitimité démocratique.
L’Alliance des États du Sahel, aux dires de ses membres fondateurs, a aussi été constituée pour répondre à la crise sécuritaire grave et croissante à laquelle font face le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
Ce constat ne manque pas de pertinence. Mais pour autant, la création d’une entité communautaire nouvelle, qui ferait cavalier seul hors de la Cedeao comme institution communautaire, mais dans le même espace géographique, est-elle viable pour lutter efficacement contre les attaques terroristes et les diverses autres menaces sécuritaires auxquelles sont confrontés la quasi-totalité des pays ouest-africains ? Rien n’est moins sûr.
Le Mali a une frontière commune avec La Côte d’Ivoire et le Sénégal. Le Niger a une frontière commune avec le Nigeria et le Bénin. Le Burkina Faso a une frontière commune avec le Ghana, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire. Pour assurer leur sécurité intérieure, les pays de l’AES devront nécessairement conclure des accords de coopération militaire avec ces pays frontaliers d’une Cedeao qu’ils auraient quittée. De tels accords, assurément, ne se feraient pas du jour au lendemain.
Qu'arriverait-il si, après leur départ de la Cedeao, des menaces aux frontières de ces États voisins surgissaient ? Une déstabilisation de ces pays de l'AES serait inéluctable.
Économie et monnaie, l'autre paire de manche
La question économique et monétaire est l’autre inconnue que l’AES évoque plutôt en filigrane de ses sorties publiques, sans jamais rassurer les peuples des États membres ni ses potentiels partenaires internationaux. L’AES annonce comme irréversible son départ de la Cedeao, mais demeure membre de l’union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et continue de faire usage du franc CFA comme monnaie ?
Or, la monnaie est un attribut fondamental de la souveraineté de tout État. Ces trois États iront-ils jusqu’à la création d’une monnaie tripartite ? On ne crée pas une monnaie nationale comme on le ferait d’un logo, d’un drapeau ou d’une constitution.
Manque de légitimité de ces régimes militaires
Enfin, la création de l’AES n’est pas sans conséquences au niveau de la politique intérieure de ses États membres.
Les régimes militaires actuellement au pouvoir dans ces États y sont-ils encore pour une période transitoire ?
La question mérite d’autant plus d’être posée que certaines réformes profondes, qui engagent un État et des peuples sur des décennies, et aux conséquences internes et extérieures considérables, ne sont possibles que pour un pouvoir qui se projette sur le très long terme. Ce n’est pas en théorie le cas des pays membres de l’AES.
Nous pouvons conclure que l’AES demeure, au stade où nous en sommes, une idée, moins qu’un projet, encore moins une architecture en cours d’implémentation. Les conséquences de sa mise en marché, sont telles qu’il n’est pas exclu que, dans les mois à venir, les les membres de l’AES reviennent à la Cedeao qui n’est pas exempte de tout reproche mais qui aura préalablement fait son aggiornamento.
Eric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (Bonn-Allemagne).
Il fallait à l’héritier, Président Déby un haut fait d’arme pour attester de sa bravoure et l’élever au mérite et à la dignité paternels à l’instar du rite de passage du jeune Massaï au Kenya et en Tanzanie dont la crinière et la queue du lion qu’il vient de vaincre, marquent l’entrée dans le cercle des guerriers et célèbrent la notoriété. Le scalpe des bases militaires françaises au Tchad que l’héritier Déby vient d’offrir au peuple tchadien paraît faire office d’acte de bravoure.
Mais il s’agit d’une bravoure de portée relative car sa dénonciation de l’Accord de défense avec la France qui aurait été éclatante il y a trois ans à sa prise de pouvoir, intervient après celles respectives d’Assimi Goïta du Mali, d’Ibrahim Traoré du Burkina Faso, d’Aboudouramane Tiani du Niger et même de quelques heures après celle de Diomaye Faye du Sénégal. C’est à une France, dont les deux genoux sont à terre en Afrique ; une France démonétisée, désacralisée qui n’est plus que l’ombre d’elle-même en termes d’influence dans le giron francophone et qui ne fait plus peur à aucun dirigeant africain que l’héritier Déby a porté ce 28 novembre 2024 une estocade vespérale. Mais il demeure que sa décision est incontestablement populaire.
Une Décision Populaire au Tchad mais aussi en France
Au Tchad, la dénonciation de la présence militaire française est manifestement populaire. Elle est saluée au-delà même des cercles intéressés des partisans du régime, faits d’entrepreneurs politiques, associatifs et intellectuels au réflexe pavlovien, applaudissant à tout rompre, jusqu’à l’absurde, le moindre clignement des yeux de l’héritier Président Déby.
Les raisons et les motivations de cette adhésion populaire ne sont pas toujours convergentes d’un camp à l’autre, quand elles ne sont pas purement et simplement fantasmagoriques ou pour cause des frustrations nées des difficulté d’obtention de visa Schengen. Mais le fait est indéniable.
Une Popularité tans-partisane
Il en est ainsi des opposants politiques de Wakit Tama qui ont toujours fait de cette dénonciation l’une de leurs principales revendications. De même, si l’appareil du parti Les transformateurs reste circonspect, il en va autrement de ses jeunes militants aux yeux de qui, l’héritier Déby semble trouver grâce par cette décision en dépit de son lourd passif à l’égard du parti. Il en va d’autant aussi ainsi pour la masse des cadres arabisants et leurs troupes pour qui la France et tout ce qui la symbolisent et a fortiori son armée, constituent la cause unique de leur déconsidération dans l’administration et les entreprises publiques. Mais, il en va encore plus ainsi de la cohorte des docteurs en tout genre et ingénieurs formés dans l’ex-bloc soviétique ou dans l’actuelle Fédération de Russie, souffrant d’un déficit d’image et de crédibilité dans l’opinion publique par rapport à ceux formés en Occident et particulièrement en France. Ceux-ci espèrent de la perspective d’un éventuel rapprochement stratégique avec la Russie de Poutine, une bien meilleure ambassade dans la haute administration et dans l’opinion publique.
Ambivalence de la relation du clan familial et ethnique Déby à l’égard de la France
Ensuite, il y a surtout le clan Déby constitué des généraux, ministres, secrétaires généraux, directeurs généraux, directeurs administratif et financier des ministères et des entreprises publiques, ambassadeurs, grands opérateurs économiques et premières fortunes du pays, tous, au cœur du nucléaire du pouvoir tchadien, à qui la France a tout offert, mais qui entretiennent avec elle une relation éminemment ambivalente. D’un côté, le clan apprécie les faveurs institutionnel, politique, diplomatique, militaire et économique de la France, les facilités de voyages ou d’études dans les universités et académies militaires en France où vit désormais l’essentiel de la famille et de la progéniture ; des faveurs à l’égard du clan qui constituent au demeurant le ressort de la détestation de la France par la catégorie des « Tiers-états »[1] de la population tchadienne » et qui expliquent la popularité de la dénonciation de l’Accord de défense auprès de ceux-ci. Mais de l’autre côté, le clan Déby éructe dès que la France s’autorise à émettre la moindre observation ou critique, fut-elle non-publique, sur la gouvernance, la démocratie et les droits de l’homme. Ainsi, le clan paraît, a priori apprécier et soutenir la dénonciation de l’Accord de défense par l’héritier Président. Elle lui permet d’avoir à ne plus s’expliquer ou à répondre de ses oukases, même s’il n’en mesure pas encore toutes les conséquences et implications.
Seul le GCAP fait exception
Pour ainsi dire, si jamais le pouvoir venait à autoriser une manifestation de soutien à la décision de l’héritier, il y aura incontestablement foule dans les rues non seulement de N’Djamena la capitale, mais aussi de toutes les grandes villes des provinces du Tchad. Contre une France qui cristallise toutes les frustrations et mécontentements, faisant d’elle, l’exutoire tout trouvé et partagé des opposants et partisans du régime, il n’y a plus grand monde pour plaider sa cause. Dans ces conditions, le GCAP autour de Max Kemkoye paraît bien seul pour faire entendre raison.
Une Popularité dans les rangs des entrepreneurs panafricanistes
Au-delà des frontières nationales tchadiennes, la décision de l’héritier Président est chaudement applaudie par la foule des entrepreneurs panafricains pour qui, l’étalon de la souveraineté ne se mesure qu’à l’aune de la seule rupture de ban avec la France, peu importe la sujétion à l’égard de tout autre puissance impérialiste. Et cela, même si, d’une part, personne au Tchad ne peut croire que la France ait jamais réussie à imposer la moindre décision à Déby père ou à son héritier de Président ; et d’autre part, les bénéficiaires de la coopération et de la présence militaire française au Tchad depuis 1990 sont pour l’essentiel les membres du clan Déby et non, la masse de la population. L’une des preuves parmi d’autres, de l’impuissance clinique de la France à l’égard du régime est fournie par l’héritier Président lui-même qui dans son autobiographie[2], laisse entendre qu’il a peu gouté aux tentatives répétées du Président Macron de le dissuader de se présenter à l’élection présidentielle à l’issue de la transition. Évidemment qu’il s’est présenté auxdites élections, qu’il a gagné haut la main et sans la moindre protestation publique de la France, sommée d’en prendre acte.
Une Popularité en France aussi
Mais, et aussi paradoxale que cela puisse paraître, à l’exception des hiérarques diplomates et surtout militaires qui encaissent un nième naufrage en ce qu’ils n’ont encore rien vu venir malgré la forte présence de la DGSE comme ce fut le cas au demeurant pour les coups d’États au Mali, au Burkina Faso, et au Niger, la dénonciation de l’Accord de défense par Déby semble bien accueillie en France. Si l’on en juge par la réaction des lecteurs d’un certain nombre de grands et sérieux médias, la France n’a plus les moyens financiers et d’intérêts stratégique, diplomatique et économique d’entretenir une présence militaire en Afrique et en particulier dans les pays du Sahel. Il s’agit qui plus est, des ersatz des corps expéditionnaires de l’empire colonial, indéfendables désormais. Leur démantèlement procède de l’ordre des choses. Pour le commun des Français, les enjeux stratégiques et militaires du pays sont désormais en Europe avec la question Ukrainienne et la menace Russe ; les enjeux économiques en Afrique sont au Nigéria, Angola et Afrique du Sud, au Maghreb ou encore dans la protection des lignes d’approvisionnement en Mer rouge et dans le golfe d’Aden. Et sur le plan diplomatique, il y a belle lurette que les pays africains francophones qui faisaient le poids de la France dans les instances internationales ne la suivent plus dans les votes des résolutions à l’ONU par exemple. Ainsi donc, Le retour en France des militaires servant souvent d’assurance-vie aux potentats africains, est plutôt bien accueilli. Le seul reproche fait au Président Macron est celui de n’avoir pas tiré les enseignements des expulsions lancinantes par les pays de l’AES en ayant l’initiative de la fermeture des bases françaises au Tchad que de subir une nième humiliation. Comme l’écrit le Journal Le Monde dans son éditorial du 2 décembre 2024, « Emmanuel Macron a adopté, sous l’influence d’une partie des milieux politiques et militaires français, une stratégie de petits pas, peu lisible, visant le maintien d’une présence réduite et plus discrète », au lieu de poser « la perspective claire de retrait qu’impose la situation ». Il a tenté « de gagner du temps en nommant un « envoyé spécial », Jean-Marie Bockel, dont le rapport remis lundi 25 novembre, vient d’être largement balayé par les décisions de Dakar et de N’Djamena ». Résultat : « un camouflé d’autant plus cinglant qu’il est double » constate le Journal du soir.
Bref, cette dénonciation de la présence militaire française au Tchad offre à l’héritier Deby son « quart d’heure warholien ». Mais pour populaire qu’elle soit sur les deux bords, il ne demeure pas moins qu’elle est manifestement inélégante dans la forme.
Une Décision inélégante dans la forme
S’il apparaît que le plaidoyer du ministre français des affaires étrangères pour le report des élections législatives et locales du 29 décembre 2024 a été la causalité immédiate du courroux ayant conduit l’héritier Deby à décider de la rupture abrupte de la coopération militaire, il ne demeure pas moins que cette décision n’est pas spontanée. Elle ne l’est pas en raison d’une part de nombreux griefs que le Président tchadien reproche à la France et en particulier « l’affaire des costumes à prix d’or », et d’autre part, sa volonté d’émancipation d’une tutelle qu’il juge désormais encombrante. Mais alors, pourquoi ne l’avoir pas fait dans les formes que commandent une relation partenariale d’exception comme celle qui liait la famille Deby à la France ? Pourquoi l’avoir fait de manière aussi inutilement humiliante pour l’État français lui-même, son ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot qu’il venait à peine de recevoir en audience et surtout pour l’état-major de l’armée française qui a toujours été le meilleur avocat du régime dans les institutions françaises même aux pires moments ?
Le coup de pied de l’âne
Car l’héritier Président Deby ne devrait pas oublier notamment que :
Certes le régime aurait survécu, mais sans la respectabilité et l’honorabilité et avec des difficultés de trésorerie pouvant infliger de lourdes souffrances et sacrifices à la population. Dès lors, la brutalité de la dénonciation unilatérale et sans information préalable du partenaire par les canaux diplomatiques de l’Accord de coopération et de défense, réalise, rien de moins qu’un véritable « coup de pied de l’âne ». Mais à y réfléchir, ce n’est pas si surprenant dès lors qu’elle a été mise en musique par le ministre des Affaires étrangères, Monsieur Abdramane Koulamallah dont le prédécesseur dans la fonction, Mahamat Saleh Annadif, ne croyait pas si bien dire lors de la passation de pouvoir, qu’il est taillé pour le job[3].
Une Décision dont - il faut assumer les conséquences et implications
Côté français. Certes, en dehors de la prise d’acte de la dénonciation par le porte-parole du ministère des affaires étrangères, aucun officiel politique ou militaire ne s’est publiquement prononcé sur la décision du Tchad. La France gère d’autres priorités plus urgentes comme trouver une personne consensuelle pour former un gouvernement stable d’ici l’été prochain. Mais l’armée française, forte de ses expériences malheureuses au Mali, au Burkina et au Niger, a acquis un savoir-faire en matière de démantèlement express de ses bases. Elle quittera irrémédiablement le Tchad à l’issue du délai de préavis conventionnel de six mois à compter de la notification officielle de la dénonciation que la France n’a toujours pas encore reçue. Pour l’armée française, il n’y aura plus de terrain d’entrainement en conditions réelles pour ses pilotes et son infanterie. Plus d’argument d’Opex au Tchad pour promouvoir l’attrait de nouvelles recrues. Plus d’accélération de carrières pour ses officiers en Opex et d’indemnités d’Opex.
Coté tchadien. Ne jamais oublier qu’à côté des intérêts, les États ont surtout de la mémoire. Ensuite, le Tchad est un pays ouvert aux quatre vents et qui a le bonheur doublé du malheur d’avoir notamment comme voisins la Libye et le Soudan d’où peuvent déferler en une seule journée des colonnes de rebelles sorties de nulle part pouvant fondre sur la capitale N’Djamena. La surveillance aérienne, les renseignements et les tirs de barrage et de sommation de l’armée française qui en la matière ont fait toujours leur preuve au bénéfice du régime Déby, ne seront désormais plus là.
Sur le plan diplomatique et économique, la présence militaire française au Tchad qui était le déterminant du parapluie, toujours ouvert et de la perfusion continue de la France en dépit et malgré les turpitudes invraisemblables et innommables du régime, relèveront désormais du passé. La relation bilatérale passera de privilégiée et d’exception à banale et d’ordinaire comme avec n’importe quel autre régime autocratique pour ne pas dire dictatorial. De même le robinet de l’AFD dont un récent article, bien informé[4], mettait en exergue la variété des domaines et l’amplitude des interventions, cessera de couler à flot pour la même raison.
Pour la population, passer l’euphorie de la gloire, le départ de l’armée française ne changera pas un iota au quotidien. Il ne changera pas non plus la brutalité du régime qui au contraire, débarrassé de la présence ombrageuse de la France et de la courtoisie de devoir s’expliquer, donnera libre cours aux penchants qu’il a du mal contenir, de bannissement des libertés individuelles et publiques ou encore de la liberté de la presse. Quand-à la démocratisation du pays, le régime en prononcera purement et simplement le requiem.
Mais il n’y aura plus la France pour alibi.
Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit, maître de conférences à l’université
[1] A. Mbotaingar, Ialtchad Presse - Découpage électoral ou la politique de la « Hougoura »,
[2] Mahamat Idriss Déby Itno, De Bédouin à Président, Va – Éditions, 2024.
[3] Voir, Édito du Le Journal Le pays du 31 mai 2024, https://www.lepaystchad.com/36322/
[4] E. Topona Mocnga, Ialtchad Presse - Coopération Tchado-Française : polémique autour d'une aide, https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3353-cooperation-tchado-francaise-polemique-autour-d-une-aide
La polémique récente sur l’aide de la France aux anciens combattants tchadiens, vétérans de la Seconde Guerre Mondiale, relève de ces débats devenus récurrents sur le continent africain, notamment dans les ex-colonies françaises d’Afrique, depuis qu’a pris corps dans les opinions publiques africaines, des controverses sur la nécessité d’une seconde décolonisation en Afrique et qui ne cesse de prendre de l’ampleur.
D’un montant de 300.000FCFA (environ 500€), de nombreux citoyens tchadiens considèrent qu’il s’agit d’un mépris à l’endroit de leurs distingués aînés, qui ont payé le prix incomparable du sang, afin que le pays du général de Gaulle et du général Leclerc, retrouve sa souveraineté perdue du fait de l’occupation allemande de 1939 à 1945. Toujours dans la même veine, certains considèrent qu’il ne s’agit pas seulement d’une injure à l’endroit de la « force noire » venue du Tchad, mais envers la mémoire de tous ces valeureux combattants partis d’Afrique, pour défendre les idéaux inaliénables de justice et de liberté.
Arrière-plan historique
Mais avant de s’appesantir sur les arguments convoqués par celles et ceux qui s’indignent face à ce qu’ils considèrent comme une attitude de mépris et d’ingratitude, il faut rappeler l’arrière-plan historique de cette polémique. En effet, il n’est pas superflu de rappeler que c’est du Tchad que sont parties les premières troupes d’Afrique, en réponse à l’appel du 18 juin 1940, conduites par le Gouverneur de l’Afrique Equatoriale Française, Félix Eboué. En outre, dans le chaudron des combats, le détachement tchadien des troupes africaines, s’est illustré par une vaillance et une bravoure décisives pour la libération de la ville de Strasbourg. Cet épisode décisif de la libération de la France, a par ailleurs donné lieu récemment à une manifestation commémorative à laquelle n’a pas été convié le personnel diplomatique de l’ambassade du Tchad en France.
Si ces griefs ne manquent pas de pertinence, peut-on pour autant considérer que le tableau des relations franco-tchadiennes est aussi sombre que certains l’affirment dans l’opinion publique tchadienne ? On est légitimement en droit d’en douter.
Il faut d’ores et déjà rappeler que la France n’a pas attendu cette aide, certes anecdotique, pour venir en aide au Tchad. Pour revenir à l’histoire, il faut se souvenir qu’aussi paradoxal que cela puisse paraître, la présence militaire française a quelquefois été d’un apport décisif dans la défense de l’intégrité territoriale du Tchad et de la stabilité de ses institutions. Point n’est besoin de revenir sur le détail des entreprises de déstabilisation du Tchad, initiées depuis le territoire libyen sous l’impulsion du bouillant colonel Mouammar Kadhafi, qui ne faisait guère mystère de ses rêves de grandeur qui se sont traduits à plusieurs reprises par une boulimie d’expansion territoriale qui avait désigné le Tchad comme victime sacrificielle. Les opérations Manta, Épervier sont encore gravées dans les mémoires de ceux qui sont au fait de ces pages difficiles de l’histoire des relations tchado-lybiennes.
Assistance multiforme
S’agissant de la structuration de l’armée tchadienne, l’armée française a largement contribué et continue d’être aux côtés des forces de défense et de sécurité du Tchad pour la formation et la professionnalisation de son personnel, en plus d’une assistance en matériel et en renseignement militaire. Les anciens combattants qui sont au cœur de la polémique en cours, bénéficient d’une aide substantielle et multiforme de l’assistance militaire française. Celle-ci se matérialise aussi bien par la construction et l’équipement des maisons du combattant que par les soins que reçoivent les vétérans tchadiens de la Seconde Guerre Mondiale dans l’hôpital militaire français au Tchad.
Plus récemment, le personnel de la force Barkhane s’est considérablement impliqué dans les inondations qui ont endeuillé le Tchad. Cette aide comporte également un important volet civil, celui qui concerne notamment les investissements au Tchad de l’Agence Française de Développement (AFD).
En dix ans, précisément de 2011 à 2021, l’AFD a financé 82 projets, 500 000 personnes ont bénéficié d’un accès amélioré à l’eau potable ou à l’assainissement, 2,7 millions de personnes ont bénéficié d’un accès amélioré aux soins, plus de 200 000 enfants scolarisés au primaire, pour un montant total de 483 millions d’Euros[1].
S’agissant particulièrement de l’eau et de l’assainissement, l’AFD contribue de manière notable au renforcement du réseau en eau potable de la ville de N’Djamena, au financement de projets d’infrastructures aussi bien pour lutter contre les inondations que sur le plan de l’assainissement, notamment pour une gestion des déchets respectueuses des normes environnementales.
Pour ce qui concerne l’accès aux soins de santé, l’AFD apporte son aide en vue du renforcement de l’accès aux soins de santé maternelle et infantile, aux politiques publiques d’autonomisation des femmes, à l’équipement des centres de santé, aux campagnes de planification familiale.
En conclusion, il faut noter que cette polémique s’inscrit dans une ère de volatilité de l’information qui est aussi celle de tous les abus, où un acte de communication sur les réseaux sociaux, passe parfois pour une information, alors même que celle-ci est bien éloignée de la réalité et charrie tous les abus. Un tel contexte exige des professionnels de la communication un devoir permanent de vérification et de rétablissement des faits.
Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle
[1] Agence Française de Développement, L’AFD et le Tchad, Agence de N’Djamena, 2021
Dans un ouvrage intitulé Que font les armées étrangères en Afrique ? Réflexions autour des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise[i], Dominic Johnson, journaliste au Taz (Die Tageszeitung, littéralement « Le Quotidien » allemand publié à Berlin et tiré à 60 000 exemplaires), chercheur senior à Pole Institute, faisait ce constat alarmant : « Il n'y a plus une seule semaine sans qu'une nouvelle atrocité attribuée aux extrémistes islamistes ne soit rapportée de l'Afrique […]. L'Afrique vit une ère de terreur, semblable à celle qui a secoué l'Europe il y a dix ans avec les attentats de Madrid et de Londres et les effets-contagions de la guerre en Irak. »
Les récentes attaques terroristes des combattants de Boko Haram, fin octobre, contre les forces de défense et de sécurité du Tchad, ont relancé le débat concernant la présence militaire française sur notre territoire national. L’émoi et la stupeur suscités par ce drame ont conduit une certaine opinion à questionner la possible contribution du dispositif militaire Barkhane à la lutte contre les terroristes qui mettent à mal notre souveraineté nationale et notre intégrité territoriale.
Mutualisation des forces, une nécessité stratégique
Il faut d’emblée relever que, pour le Tchad comme pour l’ensemble des États de son environnement régional, la mutualisation des forces contre la menace terroriste et autres tentatives de déstabilisation venues de l’extérieur est une nécessité stratégique, notamment pour le Cameroun, le Niger, le Nigeria et la République centrafricaine. La Force multinationale mixte a justement vocation à venir à bout de cette nébuleuse pernicieuse et multiforme qui a une mystérieuse capacité à renaître de ses cendres aussitôt qu’on la croit neutralisée, voire anéantie. Le véritable débat devrait donc porter sur la densification des capacités opérationnelles de cette force et l’efficacité opérationnelle de son déploiement.
Or, comme l'ont récemment souligné les autorités tchadiennes pour le déplorer, cette force multinationale mixte pâtit de ce que tous les États membres ne contribuent pas à parts égales à son déploiement, en hommes comme en moyens opérationnels. Comme naguère au sein du G5 Sahel, la participation des forces de défense et de sécurité tchadienne est bien supérieure à celle de nombre de pays membres de cette force. Elle a pourtant vocation à s’autonomiser comme un embryon d’armée panafricaine qui demeure un impératif stratégique et sécuritaire majeur pour l’Afrique.
L’Afrique s’est pourtant dotée, en 2002, d’une Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) à l’initiative de l’Union africaine et des Communautés économiques régionales (CER).
Cette institution, qui participe d’une initiative en parfaite adéquation avec les préoccupations sécuritaires du moment sur le continent africain, est un ensemble de textes de lois et d’institutions qui ont pour objectif de renforcer la sécurisation des États africains contre des menaces de déstabilisation diverses. Le Conseil de paix et de sécurité, le Groupe des sages, la Force africaine en attente, le Fonds africain pour la paix et le Système continental d’alerte rapide figurent au rang de ces institutions phares. Mais force est de constater que ces institutions, dont la nécessité n’est plus à prouver, ne donnent pas lieu à un déploiement opérationnel à la hauteur des menaces et des urgences sécuritaires auxquelles est confronté le continent. Comme c'est si souvent le cas, le lexique politique le plus ambitieux est très éloigné des mots qui le constituent.
Par ailleurs, cette architecture de paix et de sécurité s’investit très peu dans la prévention des crises, voire quasiment jamais. Le Conseil de paix et de sécurité de l'UA se met d’ordinaire en mouvement lorsqu’il s’agit de réagir à un coup d’État militaire ou à un conflit manifeste entre deux États ou au sein d’un État. Au regard de l’importance géostratégique du Tchad dans la région Afrique centrale ou dans l’espace soudano-sahélien, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine devrait jouer un rôle majeur, notamment pour la mobilisation des moyens qui permettraient de combattre une menace asymétrique telle que le groupe terroriste Boko Haram ou les Shebab de Somalie.
La France doit-elle aider l'armée tchadienne ?
Il est aberrant – comme le réclame une partie de l’opinion tchadienne – de demander à la France de protéger la souveraineté du Tchad dans un contexte où l’Hexagone est en procès dans une bonne frange des opinions publiques africaines au motif que le déploiement de son dispositif militaire en terre africaine est une survivance d’un passé colonial, qui est par ailleurs en totale contradiction avec le statut souverain des États africains.
L’implication ostensible des forces armées françaises dans la lutte contre le terrorisme djihadiste prêterait le flanc aux critiques parfois faciles et souvent acerbes d’un certain panafricanisme débridé qui verrait là une magnifique aubaine pour faire fructifier son fonds de commerce idéologique.
Aussi, est-il paradoxal de vouloir une Afrique souveraine et de s’en remettre aux puissances étrangères pour la sécurisation de ses frontières. Certes, on pourrait rétorquer à cet argument que les pays de l’Union européenne – un si grand ensemble géopolitique – s’en remettent au parapluie militaire américain pour leur sécurité, notamment par rapport au voisin russe. Il y a toutefois un bémol à apporter à cet argument. C’est notamment la force nucléaire russe qui est une menace pour la plupart des pays européens. Mais des menaces sécuritaires comme celles qui planent sur le Tchad relèvent davantage de la sécurité intérieure des États.
Il est du plus mauvais effet pour un État, face à des forces malfaisantes telles que la menace djihadiste, d’afficher des signes de fragilité, voire d’impuissance. S’il faut que le Tchad s’en remette à l’armée française pour éradiquer une menace extérieure, à l’instar de Boko Haram, qu’en sera-t-il des pays voisins qui sont confrontés à une menace similaire ?
La France est pourtant bien présente aux côtés du Tchad, sous divers aspects qui contribuent à divers titres à la sécurisation de son espace territorial.
Il faut souligner que la coopération militaire entre la France et le Tchad n’a pas pour seul objectif de se déployer sur les terrains d’opérations. Il s’agit d’une coopération multiforme. Elle est aussi bien opérationnelle que structurelle, comme le soulignait déjà un rapport d’information de l’Assemblée nationale française [ii] de juillet 2014 sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique : « Le but de la coopération y est clairement d’accompagner la montée en puissance des armées tchadiennes […]. » Le budget alloué à la coopération structurelle atteint 12 millions d’euros par an, auxquels on peut agréger les 53 millions d’euros de dons et d’aides diverses fournis par la force Épervier. »
Cette coopération concerne également:
– l’appui au pilotage des restructurations et à la modernisation de l’armée tchadienne qui se décline en six sous-projets : la logistique, le renseignement, la formation, la reconversion, la gestion des ressources humaines et l’appui au commandement ;
– l’appui au commandement, qui porte un accent sur la formation – c’est-à-dire la sélection pour l’École de guerre et l’enseignement de la langue française –, les études et la liaison avec les armées.
La présence militaire française au Tchad n’a pas pour seul horizon stratégique le Tchad. Elle permet aux forces françaises de se projeter dans l’ensemble de la région Sahélo-saharienne.
Mais N’Djamena a été retenue en raison de son positionnement stratégique. La capitale tchadienne tient donc lieu de rampe de lancement pour la défense des intérêts de la France et de ses ressortissants, bien au-delà du seul territoire tchadien. En retour, l’État du Tchad en tire parti pour la sécurisation de son territoire en termes de renseignement, d’aides diverses et pour la formation de son personnel militaire : « Le choix a été fait de centraliser à N’Djamena le commandement du dispositif militaire français « régionalisé » déployé dans la bande sahélo-saharienne », note ce même rapport d’information.
Il ne faut pas perdre de vue que combattre les terroristes de Boko Haram, c’est faire face à une guerre de nature asymétrique. Le principe d’une guerre asymétrique, c’est l’imprévisibilité de l’adversaire, la spontanéité de ses attaques. Combattre un tel adversaire, c’est faire usage d’outils stratégiques qui ne relèvent pas de la guerre classique. Les guerres qui mettent en difficulté même les armées les plus aguerries au monde sont de ce registre. Dans l’histoire militaire, les guerres d’Indochine et du Viêt Nam sont encore bien présentes dans les mémoires. Elles ont été d’immenses désastres, aussi bien pour l’armée française que pour l’armée américaine. Elles échappent aux sophistications technologiques de l’armement moderne, en ce sens qu’elles s’appuient pour l’essentiel sur le facteur humain.
Un déploiement de l’armée française au sol n’est pas envisageable dans un tel contexte. C’est sur le terrain du renseignement prévisionnel qu’il est possible de faire évoluer la coopération militaire entre la France et le Tchad. Et même sur ce terrain, celle-ci sera d’une efficacité discutable. Les terroristes de Boko Haram ont cette particularité criminelle de se fondre dans les masses au point de se rendre invisibles, insoupçonnables, donc bien plus redoutables que ce que l’on pourrait prévoir d’un ennemi dans un combat classique.
S’il y a un autre terrain sur lequel pourrait utilement s’investir cette coopération, c’est dans une aide plus conséquente au développement autour du Bassin du lac Tchad. La misère à laquelle sont confrontées les populations de cette région, en plus des déplacements suscités par le réchauffement climatique, constituent des terreaux fertiles pour ces entrepreneurs de la terreur ; ils peuvent ainsi facilement recruter les bombes ambulantes n’ayant pour seule mission que de répandre la terreur au sein des populations qui ne demandent majoritairement qu’à vivre en bonne intelligence et en paix.
Tout au plus, malgré sa présence militaire sur le territoire tchadien, la France ne pourrait intervenir qu'à la demande expresse du Tchad, qui est un pays souverain. Une telle demande, au moment où nous écrivons ces lignes, n'a pas encore été formulée par les autorités tchadiennes.
Enfin, la communauté internationale, particulièrement la France, se tient prête – et cette proposition a toujours été réitérée – à aider le Tchad à lutter contre le terrorisme, en réponse à l'appel lancé par le président tchadien, Mahamat Idriss Deby Itno, dans ce sens, juste après l'attaque de Boko Haram. Un éventuel appui militaire de la France devrait se faire dans le strict respect de la souveraineté du pays. Ni plus, ni moins.
Éric Topona Mocnga
Journaliste au Programme francophone de la Deutsche Welle
[I] Dominic Johnson, Que font les armées étrangères en Afrique ? Réflexions autour des interventions militaires internationales dans les pays africains en crise La guerre internationale contre l’Internationale djihadiste : aujourd’hui la Somalie, demain le Nigeria, et après ? Actes du colloque international organisé par Pole Institute Goma (RDC), du 1er au 4 juillet 2014
[ii] Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la Commission nationale de la défense et des forces armées en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours et présenté par les députés Yves Fromion et Gwendal Roullard.
« Heureux qui, comme militaire, s’est arrogé le pouvoir en Afrique dans la décennie 2020 »[2], met l’État sous coupe réglée, nargue les institutions multilatérales, et ô surprise, avec les compliments. « Autres temps, autres mœurs » dirait Cicéron. Simplement, la parole d’officier et la colonne vertébrale des pouvoirs, plus que jamais autocratiques, semblent avoir fait des progrès notables, mais en vacuité.
Au long printemps des coups d’État constitutionnels de la décennie 2010 qui ont sclérosé la gouvernance de l’essentiel des États d’Afrique, se greffe désormais celui des coups d’État militaires en apparence salvateurs, mais aux dividendes tout aussi évanescents.
Confusion, reniement et outrance
Bénéficiant d’un rare alignement des planètes, Abdourahamane Tiani du Niger, Assimi Goïta du Mali, l’héritier Mahamat Idriss Deby du Tchad, Ibrahim Traoré du Burkina Faso, Mahamadi Doumbouya de la Guinée et dans une moindre mesure, Olingui Nguema[3] du Gabon, peuvent allègrement chacun :
Justement, la situation du Burkina Faso détonne dans ce printemps putschiste. Ibrahim Traoré semble avoir été inspiré et conseillé par Assimi Goïta du Mali sur les protocoles de neutralisation de toute velléité de contestation de son pouvoir ; de lutte contre le terrorisme, de renversement des alliances avec les Occidentaux et du rapprochement avec Poutine, et aussi de la conservation du pouvoir. Mais, comme qui dirait, l’élève semble avoir désormais dépassé le maître.
Le cas Burkinabé
Les burkinabé ne nageaient pas dans le bonheur et la prospérité sous le Président Rock Marc Christian Kaboré, en raison de la corruption et de l’incurie d’une partie de la classe politique. Mais ils jouissaient d’une part, d’une sécurité relative et d’autre part, des libertés publiques et individuelles sans commune mesure. Depuis, le « putsch dans le putsch » de septembre 2022, ils n’ont toujours pas pris le chemin du bien-être et de la prospérité, à l’exception peut-être des seuls « Wayiyan[7] ». Mais ils ont perdu certainement et la sécurité et la liberté. La sécurité a quasi-disparu en raison de l’explosion et de l’expansion des attaques terroristes de plus en plus violentes et atroces ; des attaques dont les massacres de Barsalogho du 24 août 2024 sont le symbole. Mais ils ont aussi perdu la sécurité en raison des représailles de l’armée et des VDP[8], toutes aussi violentes, sauvages et atroces sur des populations simplement soupçonnées de complaisance à l’égard des terroristes[9].
Quant-à la liberté d’aller et venir, de conscience, d’entreprendre ou seulement de vivre, elle n’existe pas dans les territoires de plus en plus vastes de l’arrière-pays et même dans certaines grandes villes comme Djibo que les terroristes contrôlent effectivement ou par blocus, malgré les rodomontades et forfanteries du pouvoir à Ouagadougou.
Inversement, dans les grandes agglomérations (Ouaga et Bobo, notamment), les libertés politique, syndicale, associative et de presse ainsi que la justice, sont mises sous cloche si ce n’est réduite à celle de promouvoir, défendre et applaudir aveuglement jusqu’à l’absurde, Ibrahim Traoré et son régime. Les téméraires contrevenants sont voués aux gémonies pour apatridie et négritude de salon. Ceux qui sont présents sur le territoire, sont enlevés et disparaissent sans aucune forme de procès ou sont enrôlés de force dans les rangs des VDP. Quant - à ceux qui sont hors du territoire, leurs proches n’échappent pas aux représailles en vertu du nouveau paradigme juridique de la responsabilité pénale du fait d’autrui. Les Wayiyans et les services de sécurité veillent au grain.
C’est une véritable expérimentation grandeur nature des ouvrages « 1984 » avec son « Big Brother », mais aussi « La ferme aux animaux » de George Orwel. Ce tableau est à quelques nuances près, sensiblement le même au Niger, au Mali, en Guinée[10] et au Tchad[11] où l’espace démocratique et la liberté de presse s’amenuisent à vue d’œil. Mais il est vrai, qu’avec ces néo-putschistes, le patriotisme, le souverainisme, le nationalisme et le panafricanisme aussi incompatibles qu’ils soient, sont saufs, du moins en apparence.
Reste que, répéter à longueur de temps : « souverainisme », « patriotisme » ou « panafricanisme » procède de l’incantation destinée à masquer le vide bilantielle comme l’indique l’Indice Ibrahim de la Gouvernance en Afrique (IIGA) 2024[12] pour ces pays. Mais elle est aussi un cache-misère pour ne pas avoir à rendre compte et répondre d’une gouvernance défaillante et s’éterniser au pouvoir. Et puis que vaut le souverainisme quand les problèmes majeurs, sécuritaires, économiques, sociaux et migratoires sont d’essence globale et appellent des solutions supra et transnationales, même pour les plus puissants des États de la planète ?
Comme le disait Charles de Gaulle à propos de l’Europe, « bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : patriotisme, souverainisme, panafricanisme ! Mais ça n’aboutit à rien et ça ne signifie rien »[13] quand de surcroît on a simplement switcher une tutelle par une autre.
Enfin, le patriotisme et à plus forte raison, le panafricanisme ne sont pas solubles dans l’exclusion d’une partie de ses concitoyens ou dans la complaisance à l’égard de sa famille, de son clan et de son ethnie ou de ses coreligionnaires.
Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université
[1] Cette tribune est la suite d’une première consacrée au même thème et intitulée : « Putschistes Et Vanité du Pouvoir Absolu », https://www.ialtchad.com/index.php/details/item/3333-putschistes-et-vanite-du-pouvoir-absolu
[2] Une paraphrase du célèbre poème « Heureux qui comme Ulysse » (1558) de Joachim du BELLAY.
[3] Olingui Nguema du Gabon est un cas à part. Même s’il n’est pas hasardeux de penser qu’il a conquis d’autorité le pouvoir pour le lâcher de sitôt, la transition qu’il conduit reste ouverte et il n’a pas rempli les prisons du Gabon d’opposants. Ceux-ci au contraire continuent de rentrer d’exil pour y prendre part et exercent librement leurs droits politique et civile.
[4] Encore que Faure Gnassingbé Eyadema du Togo, Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire, Faustin-Archange Touadéra de la RCA, encore mieux Kaïs Saïd de la Tunisie et bientôt Felix Tshisekedi de la RDC, notamment n’ont rien à envier aux putschistes militaires en termes de pouvoir absolu et de tripatouillage constitutionnel et institutionnel.
[5] Au demeurant généreusement rémunérés désormais.
[6] Pour ce dernier, à l’occasion du « putsch dans le putsch » contre le président Bah N’DAW le 24 mai 2021.
[7] Soutiens actifs d’Ibrahim Traoré. Ils sont physiquement présents sur les ronds-points de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, mais assurent aussi la veille en ligne et n’hésitant pas à désigner à la vindicte populaire ou aux services d’État, les cibles civiles à neutraliser.
[8] Volontaires de la Défense de la Partie : des supplétifs de l’armée burkinabé.
[9] Les 53 morts et 20 disparus des massacres d’Inata du 14 novembre 2021 ayant justifié le coup d’État contre le président Kaboré font pâle figure devant les pertes militaires et civiles sous les deux régimes putschistes.
[10] Voir pour la Guinée : l’enlèvement et la disparition des opposants Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, ou encore les récentes dissolution, suspension ou mise en observation de la totalité des parties politiques, mais aussi la suspension des médias critiques.
[11]Voir, le journal Le Monde du 24 oct. 2024, « Au Tchad, les arrestations par les services de renseignement se multiplient » :https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/10/24/au-tchad-les-arrestations-par-les-services-de-renseignement-se-multiplient_6359190_3212.html
[12] https://mo.ibrahim.foundation › files › 2024-10.
[13] Ch. de Gaulle, interview à l’ORTF, le 14 décembre 1965.
Les terroristes de Boko Haram ont commis une attaque sanglante (durant la nuit du dimanche 27 au lundi 28 octobre 2024) contre les forces de défense et de sécurité tchadiennes dans la région du lac, provoquant une indignation allant jusqu'au Vatican. Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle, analyse.
Le Pape Français dans sa prière de ce 1er novembre à l’occasion de la solennité de la Toussaint, a exprimé « (…) sa sympathie au peuple tchadien, en particulier aux familles des victimes du grave attentat terroriste d’il y’a quelques jours ». Le Tchad vient à peine de conclure un processus électoral apaisé dont les temps forts auront été l’adoption d’une nouvelle constitution par voie référendaire, et de l'élection présidentielle le 6 mai. Ces scrutins n’ont guère connu les soubresauts redoutés par certains analystes. Les regards étaient plutôt tournés vers l’organisation des prochaines élections locales (législatives, communales et provinciales), mais surtout et dans l’immédiat, la gestion des récentes inondations qui ont provoqué d’importants dégâts matériels et humains.
La décision du chef de l’Etat, Mahamat Deby Itno, de prendre la direction des opérations militaires à travers « l’opération Haskanite » pour neutraliser le serpent de mer qu’est devenu au fil des ans cette hydre terroriste du crime de masse, témoigne à suffisance de la gravité de l’enjeu pour la préservation de la stabilité des institutions nationales et de l’intégrité territoriale du Tchad.
Prendre du recul afin de poser un diagnostic du mal
Mais au-delà de la légitime indignation et du concert de condamnations, il y’a lieu de prendre du recul pour comprendre cet acte de barbarie innommable et les moyens de s’en prémunir.
Il faut d’emblée relever que les terroristes de Boko Haram, comme en 2020 sur la presqu’île de Bohoma (toujours dans la région du Lac dans l'ouest du Tchad) ont choisi de s’attaquer à une caserne militaire des forces armées tchadienne avec le même mode opératoire qui consiste à combiner surprise et une extrême barbarie. Il est manifeste qu’il s’agit d’installer dans l’esprit des populations riveraines du Bassin du Lac Tchad, où les déplacés se comptent déjà par centaines de milliers, la conviction selon laquelle les forces armées régulières, notamment celles qui sécurisent cette zone dans le cadre de la Force multinationale mixte (composée des forces armées du Nigeria, du Niger, du Tchad et du Cameroun, ainsi que l'armée tchadienne), ne sont pas à mesure de leur garantir sécurité et quiétude.
Par ailleurs, le fait de commettre des meurtres de masse et de s’emparer du matériel militaire, révèle que le groupe terroriste a des difficultés à s’approvisionner en armement, parce que coupé de ses bases arrières, et par conséquent n’a guère d’autre choix que de reconstituer sa capacité de nuisance par des attaques asymétriques au cœur des casernes militaires. Ce butin de guerre est justement le moyen criminel par lequel Boko Haram renforce ses capacités de nuisance pour commettre des vols de bétail ou des kidnappings avec demandes de rançons dans les pays voisins, précisément à l’extrême-nord du Cameroun ou au nord du Nigeria.
Inquiétudes
Une fois ce diagnostic effectué, on ne peut guère faire l’économie d’un questionnement sur les conditions, voire les complicités qui ont rendu possible cet assaut terroriste. Il a sans doute bel et bien fallu que les terroristes de la secte soient bien renseignés pour planifier avec efficacité cette attaque. Sans exclure de possibles infiltrations au sein des forces de défense et de sécurité tchadiennes. Boko Haram tire avantage de sa capacité à se fondre au cœur des populations, à investir ses agents dormants qui passent pour de paisibles citoyens, ce d’autant plus qu’ils s’investissent dans les actes ordinaires de la vie sociale.
Au regard de l’immensité du Bassin du Lac Tchad et de l’enjeu géostratégique qu’il représente pour de nombreux pays qui font partie de l’environnement régional du Tchad et subissent tout autant les attaques terroristes de la secte islamiste, il est urgent de se tourner vers l’avenir et de se poser la question de savoir s’il n’y a pas lieu de changer de cap pour mener avec succès ce combat vital pour les peuples et les Etats.
Appel à l'aide et changements politiques majeurs
Par ailleurs, l’appel lancé par le chef de l’Etat Mahamat Idriss Déby Itno en direction de la communauté internationale est plus pressant que jamais. C’est le lieu de se demander s’il n’y a pas urgence non seulement à réactiver le G5 Sahel, mais aussi à doter cet indispensable outil contre la menace terroriste de réels moyens qui lui permettrait d’y faire efficacement face. Or, force est de constater que le G5 Sahel, depuis sa création en 2014, n’a pas été doté de moyens à la hauteur de ses missions, en dépit du soutien affiché de la France et de l’Union Européenne.
Par ailleurs, la réactivation éventuelle du G5 Sahel et la redéfinition de ses missions, pourrait se heurter aux bouleversements géopolitiques récents dans la région, au premier chef, la décision du Niger, du Burkina Faso, du Mali de faire cavaliers seuls au sein de la nouvelle Alliance des Etats du Sahel (AES), devenu confédération.
Cette dispersion des énergies dans la lutte antiterroriste, cet émiettement de la puissance militaire pour des pays qui ont un ennemi commun à combattre, aussi redoutable qu’imprévisible, n’est-il pas de nature à réduire à néant leurs efforts ? Or l’article 4 de la Convention qui créé le G5 Sahel va explicitement dans ce sens et stipule : « Considérant les défis auxquels fait face la région du Sahel, notamment : le renforcement de la paix et la sécurité, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière (…) »
L’heure est plus que jamais à l’urgence d’y réfléchir car, tous les Etats frontaliers du Tchad, au-delà des Etats sahéliens, font face à la même menace quasi-existentielle. Il est impératif pour neutraliser le serpent de mer djihadiste de converger plutôt, dans un mouvement centrifuge, vers une mutualisation des forces et non vers un mouvement centripète de dispersion, avec ses risques d’affaiblissement et d’inefficacité pour tous.
Eric Topona Mocnga, journaliste au service Afrique-Francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne).
Jamais, l’exercice d’un pouvoir absolu, illégal et illégitime sur le continent Africain n’a bénéficié des circonstances aussi favorables.
En effet, les convulsions géopolitiques qui traversent la communauté internationale et dont les manifestations les plus parlantes sont la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine, la question Palestinienne et sa conflagration du moment (avec les guerres simultanées d’Israël à Gaza, au Liban, en Syrie et en Iran), le conflit latent de basse intensité de la Chine contre la Taïwan, la fièvre des crises migratoires qui donne des urticaires à l’Europe et à l’Amérique du Nord, l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa) ou encore les poussées des partis extrémistes en Europe, ont entrainé non seulement, une perte de repères géostratégiques et des alliances, mais surtout un délitement de l’autorité des puissances, en particulier de l’Occident qui dictaient naguère la marche aux « petits » États.
Désacralisation des puissances Occidentales
Le délitement de l’autorité de l’Occident autrefois tout puissant, a pour corollaire, l’avilissement et la paralysie des institutions multilatérales (ONU, UA, CEDEAO, etc.) et des valeurs qu’elles incarnent notamment de démocratie, des Droits de l’Homme et de la bonne gouvernance, inspirées et garantie par l’Occident.
Contraint désormais de mettre sous le boisseau ses exigences de valeurs démocratiques et des Droits de l’Homme pour ne pas être mis hors-jeu diplomatiquement, militairement et économiquement par les régimes autoritaires de plus en plus nombreux et opportunément solidaires ainsi que la popularité transcendant les frontières nationales des hommes forts qui les animent, l’Occident qui n’impressionne désormais plus personne, subit, se détourne ou coopère lâchement.
Moralité, les putschs en Afrique ne suscitent plus la réprobation et encore moins la condamnation, si ce n’est du bout des lèvres lorsqu’ils ne sont pas purement acclamés comme dans la succession dynastique des Deby au Tchad. La Chine et la Russie qui d’ordinaire restaient passives, jouent désormais activement les béquilles financiers, militaires et diplomatiques des putschistes. Et pour se convaincre de l’impuissance désormais patente de l’Occident, il suffit de se rappeler le trésor d’imaginations en litotes, de la diplomatie et de l’armée étasuniennes pour ne pas braquer le général Tiani, président putschiste du Niger, qui venait pourtant de renverser Mohamed Bazoum, président démocratiquement élu et qui était leur allié de choix au Sahel. Peine perdue, Tiani finira par mettre hors du Niger les Boys en dictant le chronogramme et les modalités[1]. Les Boys seront également expulsés du Tchad dans les mêmes conditions. Il faudra se pincer pour le croire.
Quant à la France, sa prudence de gazelle à l’égard du capitaine Ibrahim Traoré qui venait de renverser le précédent putschiste, Sandaogo Damiba, n’a rien changé au destin de sa coopération militaire et de sa coopération tout court avec le nouveau Burkina Faso : ses forces spéciales Sabre ont dû faire leur paquetage et libérer fissa la base de Kamboisin à Ouagadougou le 18 février 2023 pour rentrer à Paris et ses diplomates sont expulsées du pays sans ménagement. Il est bien loin l’époque où l’armée française fait et défait les pouvoirs en Afrique. Elle pourrait toujours le faire du point de vue opérationnel, mais plus aucun politique à Paris n’acceptera d’en endosser la responsabilité politique et diplomatique. Preuve s’il en est, de la lente agonie de la France Afrique. Et tant mieux.
Il demeure cependant qu’en dépit de ces expulsions humiliantes et la présence de plus en plus marquée des Russes, chacune de ces puissances occidentales y compris la France, continuent de tendre la main aux néo-putschistes sahéliens qui pourtant la refusent bruyamment : soit par paranoïa, soit qu’ils ne veulent pas de témoins gênants sur le théâtre de leurs opérations militaires et politiques, mais surtout dans leur ménage avec Wagner hier et Africa Corps aujourd’hui.
Par ailleurs, le putschiste africain dont l’audience sous la géopolitique de la guerre froide, se limitait à l’un ou l’autre des blocs (soviétique communiste ou Occidental libéral), mais pas les deux à la fois, peut aujourd’hui revendiquer une double alliance et qui plus est, à ses propres conditions. L’héritier président Mahamat Deby Itno au Tchad avec sa double, triple ou quadruple alliances improbables (France, Russie, USA, Hongrie, Émirats Arabes Unis, Qatar, notamment) en est l’illustration.
Crépuscule de la Démocratie et des droits de l’Homme
Visiblement tout concoure au crépuscule de la démocratie libérale. Et pourtant, l’histoire en cours de l’humanité montre comme l’affirmait W. Churchill que celle-ci demeure « le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres ». La preuve, même ceux qui font tout le contraire de ce que la démocratie induit, organisent des élections générales frelatées pour s’en attirer les faveurs et la reconnaissance. Ils invoquent par ailleurs, la légalité démocratique et institutionnelle fussent-elles cousues de fil blanc, pour s’opposer ou se prémunir contre toute remise en cause de leur pouvoir alors qu’ils ont eux-mêmes ouvert la boîte à pandore des coups d’État militaires ou constitutionnels. Que croient-ils qu’il se passera un jour dès lors que leur pouvoir absolu ne laisse comme seuls alternatifs aux citoyens et opposants que la soumission ou le putsch ?
Pour ainsi dire, libérés de la pesanteur démocratique et droit-de-l’hommiste de l’Occident et des instances multilatérales, le néo-putschiste dispose et exerce désormais un pouvoir absolu. Il n’est même plus sensible aux gémissements des Organisations Non Gouvernementale (ONG). Quant aux médias, soit ils sont censurés sur commande par les régulateurs plus que jamais zélés, soit, ils pratiquent eux-mêmes de l’auto-censure.
Mais pour autant qu’est-ce que les néo-putschistes sahéliens de la décennie ont fait de leur pouvoir absolu en termes de plus-value de progrès social et économique, de bien-être et de sécurité pour leur population ? La question se pose aussi pour l’indépendance, la souveraineté et le rayonnement du pays au-delà des narratifs et poncifs éculés sur la pseudo-souveraineté, un patriotisme frelaté et un panafricanisme de simple tribune ? Bien malin qui pourra y répondre. Mais une des explications plausibles serait dans leur impréparation à l’exercice du pouvoir.
Déficit béant de stature, de vision et de culture politique et idéologique
S’il existe un trait commun entre les néo-putschistes de la décennie 2020, et ce n’est pas leur faire injure que de le relever, c’est leur inculture politique et idéologique, voire leur inculture, tout court. Que pensent-ils du pouvoir politique et de son exercice ? Que veulent-ils faire du pouvoir ? Sur quel critère (économique, social, environnemental, diplomatique, politique, etc.) demandent-ils à être évalués un jour ? Que veulent-ils que l’Histoire retienne de leur exercice du pouvoir ? Quelle est leur vision politique intrinsèque au-delà de ce que les « spin doctor » leur mettent sous le nez devant micros et caméras et qu’ils ânonnent souvent scolairement ?
Ils se revendiquent pour certains de la révolution. Mais peut-on être un révolutionnaire accompli sans culture de ce courant politique ; laquelle ne peut être acquise que par la formation et une lecture assidue des penseurs émérites. Sans aller jusqu’à l’affirmation de Thomas Sankara lui-même, selon laquelle « un militaire sans formation politique n’est qu’un criminel en puissance », l’impression que les néo-putschistes donnent est qu’ils n’ont qu’un seul crédo, un seul idéal : rester au pouvoir et durer aussi longtemps qu’ils le pourront ; peu leur importe le prix à payer et le sacrifice pour la population, bref le sort du pays.
Mobutu Cessé Séko, Modibo Kéita, Houphouet Bogny, Hissein Habré, Ngarta Tombalbaye, Mathieu Kérékou, Sékou Touré, Julius Nyerere ; Jomo Kenyatta notamment, étaient tous autant qu’ils le sont, des dictateurs finis, accomplis et féroces. Mais, et ce n’est pas versé dans la réhabilitation que de leur reconnaître une stature d’homme d’État ; une vision du pouvoir, contestable sans doute ; et une culture politique dense et forte alors même qu’ils n’ont pas tous fait des études universitaires et encore moins fait science po. Si leur bilan en termes de démocratie et des droits de l’homme frise le néant et donne le frisson, ils ont, pour certains, développé économiquement et socialement leur pays, et pour d’autres, donner un nom à leur pays et la fierté à leurs concitoyens par l’aura de leur stature dans les cénacles internationaux. Peut-on en dire autant des néo-putschistes en particulier, sahéliens[2] ?
À chacun de se faire son opinion, mais une chose est certaine, si l’Afrique continue de sélectionner ses dirigeants par l’hérédité ou sur la seule foi du statut militaire, elle donnera encore longtemps raison à René Dumont qui prophétisait déjà en 1962 : « L’Afrique noire est mal partie ».
Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit
Maître de conférences à l’université
[1] Tiani réservera le même sort à l’armée allemande. Seule l’Italie pour l’instant garde ses faveurs.
[2] Olingui Nguema du Gabon est un cas à part. Même s’il n’est pas hasardeux de penser qu’il a conquis d’autorité le pouvoir pour le lâcher de sitôt, la transition qu’il conduit reste ouverte et il n’a pas rempli les prisons du Gabon d’opposants. Ceux-ci au contraire continuent de rentrer d’exil pour y prendre part et exercent librement leurs droits politique et civile.
C’est dans un hôpital de Niamey que Hama Amadou a tiré sa révérence ce mercredi 24 octobre. Lorsqu’il rentre dans la fonction publique nigérienne en 1971, cet administrateur des douanes ne se destine pas à la politique. Il appartient plutôt aux premières vagues de ces hauts fonctionnaires qui ont pour mission de construire l’administration d’un pays indépendant depuis seulement onze années. À l’instar de nombre d’États africains, le Niger est indépendant depuis le 1er octobre 1960. Quatorze années plus tard, en 1974, le lieutenant-colonel Seyni Kountché renverse le premier président de la République, Hamani Diori. C’est le début d’une militarisation du pouvoir politique qui s’étendra sans interruption jusqu’à 1991. Car, après le décès de Seyni Kountché en 1987, le colonel Ali Saibou lui succède et dirigera le Niger jusqu’en 1993, période charnière pour l’histoire politique du Niger et de l’Afrique durant laquelle les partis uniques s’effondrent, les conférences nationales souveraines deviennent des constituantes, qui vont ouvrir la vie politique au pluralisme politique dans le cadre de processus démocratiques qui demeurent en cours.
Mahamane Ousmane est élu chef de l’État le 16 avril 1993 à l’issue de la Conférence nationale souveraine. Il dispose d’une majorité relative au parlement, ce qui limite considérablement sa marge de manœuvre pour gouverner sereinement le pays. En 1994, Mahamadou Issoufou, leader du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), quitte la coalition gouvernementale. Cette rupture contraint le président Mahamane Ousmane à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer les Nigériens aux urnes pour de nouvelles élections législatives.
Une carrière dense
À l’issue de ce scrutin, le chef de l’État sera contraint à une cohabitation.
Hama Amadou sera désigné président de l’Assemblée nationale tandis que Mahamadou Issoufou sera nommé aux fonctions de Premier Ministre, chef du Gouvernement.
Hama Amadou fut au cœur des deux cycles politiques majeurs qui ont structuré la vie politique au Niger. Directeur de cabinet des présidents Seyni Kountché et Ali Saibou, il a su naviguer à bord du navire du parti unique comme du navire de la mouvance démocratique lorsqu’advint le multipartisme en 1991. Il fut opposé à Mahamadou Issoufou lors de la Conférence nationale souveraine tenue du 29 juillet au 03 novembre 1991 à Niamey. Deux décennies plus tard, en 2011, Hama Amadou apporta à Mahamadou Issoufou son soutien au second tour de sa présidentielle victorieuse. Mais ce fut de nouveau la brouille entre les deux hommes à la présidentielle de 2016, sur fond d’une histoire rocambolesque de trafic de bébés volés lors de laquelle l’ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale ainsi que son épouse, furent placés sous mandat de dépôt.
Morts et résurrection
De son parcours sur la scène politique nigérienne, l’on pourrait dire que celui de Hama Amadou a été jalonné de plusieurs vies et de plusieurs morts.
Parfois, vaincu ou défait, mais jamais politiquement enseveli. Il était de ces hommes politiques dont on pourrait dire que les défaites d’hier ou d’aujourd’hui sont le tremplin pour les batailles de demain, voire la motivation et le carburant des batailles à venir. Durant sa longue carrière politique, Hama Amadou a été aussi familier des palais et des ors de la République que des maisons d’arrêt ou du bannissement de l’exil. Suite au coup d’État du 27 janvier 1996 du général Ibrahim Baré Maïnassara, Hama Amadou exprime son opposition à ce coup de force. Sa formation politique le Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara) matérialise son rejet du putsch en ralliant le Front pour la restauration et la défense de la démocratie (FRDD). Cet acte de défiance lui vaudra d’être interpellé par la police politique de son pays. En 2008, incarcéré pour un chef d’inculpation de détournement de fonds publics, il bénéficie d’un non-lieu en 2012, après une mise en liberté provisoire en 2009. Comme Laurent Gbagbo et Pascal Affi N’Guessan dans la querelle autour de la présidence du Front Populaire Ivoirien (FPI) en Côte d’Ivoire, Hama Amadou est évincé de la présidence du MNSD-Nassara pendant sa détention. Mais fort de son aura et du capital de sympathie dont il jouit au sein d’une bonne frange de l’opinion nigérienne, il créera le 12 mai 2009 une nouvelle formation politique à vocation panafricaine, le Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN/FA) qui parviendra à acquérir un ancrage national. En exil en France, Hama Amadou s’oppose à un troisième mandat de Mamadou Tandja dont il fut le Premier ministre durant sept ans et se félicite du coup d’État de Salou Djibo. En 2015, de nouveau incarcéré dans l’affaire du « trafic des bébés volés », il battra campagne du fond de sa cellule en 2016 et se qualifie pour le second tour contre le chef de l’État sortant Mahamadou Issoufou. Il sera de nouveau incarcéré le 18 novembre 2019 dans la même affaire pour purger une peine de huit mois de prison. En février 2021, suite à un mouvement de contestation des résultats de la présidentielle, il est de nouveau incarcéré puis libéré pour raisons médicales qui le conduiront de nouveau en France pour bénéficier de soins appropriés.
L’infamie du « trafic des bébés importés du Nigeria »
Avec la disparition ce jour de Hama Amadou, l’ex-chef de l’État, Mahamadou Issoufou exprime son chagrin et dit « pleurer son meilleur adversaire ». Les observateurs de la vie politique nigérienne voudraient bien accorder du crédit au chagrin de l’ancien chef de l’État. Il y’a toutefois lieu de souligner qu’il n’aura rien épargné à son « meilleur adversaire ». C’est grâce au soutien décisif de Hama Amadou en 2011, que Mahamadou Issoufou fut élu au second tour de la présidentielle et devint président de la République.
Mais en 2013, le parti de Hama Amadou, alors président de l’Assemblée nationale, rompt l’alliance politique qui le liait au parti au pouvoir du Président Mahamadou Issoufou, le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya). Il s’ensuivra un feuilleton judiciaire qui aura tout l’air d’une chasse aux sorcières, d’une instrumentalisation de la justice à des fins politiques contre l’allié politique d’hier, qui aura décidé de recouvrer sa liberté de pensée et son autonomie politique dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. La même année, il est inculpé dans une procédure judiciaire pour « trafic de bébés importés » du Nigeria en même temps que sa deuxième épouse. Il s’exile en France et à son retour deux ans plus tard, le 14 novembre 2015, il est placé sous mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Filingué, à 200 kilomètres de Niamey. Il sera condamné par contumace à un an de prison dans cette scabreuse affaire. Cette affaire n’entachera pas seulement la réputation et l’honneur de Hama Amadou. Sa vie familiale en sera profondément marquée et sa carrière politique aussi.
Cette accusation le suivra jusqu’à la fin de ses jours comme une ombre portée, tant et si bien qu’il n’aura eu de cesse de faire feu de tout bois pour rétablir son honneur.
Hama Amadou et la junte actuelle à Niamey
À son retour d’exil de France suite au coup d’État militaire qui aura renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023, Hama Amadou, au sujet de la situation politique dans son pays et le déclassement de la France, n’a pas fait mystère de son agacement sur ce qu’il considérait alors comme une politique étrangère française en Afrique à géométrie variable, une sorte de deux poids deux mesures de Paris face aux coups d’État militaires, selon que les putschistes étaient dans les bonnes grâces de la France ou non. Dans un entretien au Mondafrique, s’exprimant d’un ton libre duquel semblait poindre une rhétorique souverainiste, il dresse sans détours et en toute froideur l’état d’esprit des opinions africaines, que certains éditorialistes, diplomates et hommes politiques en France considèrent comme un sentiment anti-français :
« Les Nigériens n’ont aucune haine envers la France et envers les Français (…) S’il s’agit des intérêts de la France, le Niger n’a pas remis en cause, jusqu’à présent, les accords sur l’exploitation de l’uranium. Il n’a rien remis en cause. Il a seulement exprimé sa volonté de voir partir les bases françaises ».
La liberté de ton de Hama Amadou est dans la juste continuité de ses prises de position antérieures sur les relations France-Afrique. À cet égard, on peut lui faire crédit d’une réelle cohérence.
Hama Amadou, le Niger, la France
Hama Amadou n’a pas attendu la prise de pouvoir actuel des militaires à Niamey pour exprimer son souhait de voir advenir une refondation des relations entre la France et son pays. Déjà, en 2011, il estimait urgent et nécessaire de revoir la coopération entre les deux pays. D’une part en raison de l’insupportable déséquilibre qui caractérise cette relation bilatérale et qui n’a que trop duré, d’autre part du fait d’une mutation générationnelle profonde telle que la jeunesse nigérienne, comme la jeunesse africaine dans d’autres anciennes colonies françaises, ne comprennent pas que le logiciel des relations entre ces deux pays soit demeuré le même depuis l'accession du Niger à la souveraineté nationale et internationale : « Il n’est pas possible à long terme de continuer à avoir des relations dans lesquels l’un des partenaires gagne au détriment de l’autre. Je pense notamment à l’exploitation de l’uranium du Niger qui est réalisé depuis quarante ans par une société française, qui sert beaucoup les intérêts économiques de la France, mais dont l’exploitation n’a eu quasiment aucun impact financier sur le Niger, qui en est pourtant le propriétaire légitime. Il y a un ajustement d’intérêt, un rééquilibrage, à faire pour que la coopération soit profitable aux deux parties. Ce sont des choses que les plus jeunes, qui ont moins d’attaches sentimentales avec la France, vont de plus en plus mettre en relief, ce qui pourrait causer des problèmes. Il faut donc réajuster tout cela avec la France avant que certains ne veuillent les faire partir au bénéfice d’autres investisseurs étrangers »[1].
Dans le paysage politique nigérien, Hama Amadou n’était pas seulement une présence, c’était aussi une voix dont l’écho continuera de porter après sa disparition.
Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle, spécialisé dans les questions politiques et géopolitiques en Afrique et dans le monde.
[1] Hama Amadou, Premier ministre du Niger (1995-1996, 1999-2007), candidat à l’élection présidentielle (31 janvier 2011). L’ambition renouvelée du Niger.
L’information a été ébruitée en début de semaine et a fait le tour des réseaux sociaux et de la presse, africaine et française. Kémi Séba, le sémillant leader du mouvement néo-panafricaniste « Urgences panafricanistes » a été interpellé en plein Paris, le lundi 14 octobre 2024, par des agents cagoulés des services français de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) alors qu’il déjeunait avec un proche dans un restaurant. Sa garde à vue a été levée mercredi en fin de journée. Selon le parquet, « les investigations sur l'infraction d'ingérence étrangère se poursuivent dans le cadre de l'enquête préliminaire ».
Notons que ce n’est pas la première fois que l’activiste panafricain est aux prises avec les forces de l’ordre et la justice française. Il a été plusieurs fois condamné par le passé pour incitation à la haine raciale.
Au demeurant, sa récente interpellation intervient dans un contexte tout à fait singulier. En effet, Kémi Séba a été déchu de sa nationalité française en juillet dernier, après avoir déchiré son passeport français sur la place publique, non sans dissimuler sa fierté de se voir ôter par la suite son statut de citoyen français. Dans la foulée, il se vit attribuer un passeport diplomatique nigérien par la junte au pouvoir dont il s’est rapproché et fut nommé conseiller spécial du chef de la junte militaire nigérienne, le général Abdourahamane Tiani.
Ce que fait courir Kémi Séba
Mais qu’est-ce qui fait courir le leader des Urgences panafricanistes, qui a trouvé au Niger une seconde patrie et est perçu par une certaine jeunesse africaine comme le rédempteur d’un panafricanisme authentique qui rendra aux peuples « afrodescendants » leur grandeur ?
Avant d’y répondre, il y a lieu de souligner que l’émergence véritable et durable de l’Afrique est une nécessité historique. Il ne fait guère de doute que l’Afrique contemporaine, comme celle de demain, après des siècles d’esclavage et de colonisation, de domination impérialiste et de néo-colonialisme, a besoin d’un supplément d’âme. Le berceau de l’humanité, pour y parvenir, dispose aujourd’hui du capital humain. Mais force est de reconnaître que l’Afrique demeure scandaleusement à la traîne et souffre d’une insupportable marginalisation, de politiques de prédation et de pillages qui se traduisent par un manque d’estime de soi de ses peuples, pis encore, d’un déclassement aux yeux du reste du monde, tant et si bien que dans les imaginaires s’est installé le préjugé selon lequel ce continent serait en proie à un déclin fatal.
Naissance de mouvements de la conscience noire
C’est pour déconstruire cette image d’Épinal et rendre aux peuples noirs en général cette estime de soi qu’en Afrique, aux Amériques et en Europe ont émergé, à l’aube du XXe siècle, des mouvements de la conscience noire, dont le point d’aboutissement en Afrique fut le mouvement panafricaniste avec ses pères fondateurs : Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Barthélémy Boganda, Hailé Sélassié, Ahmed Sékou Touré, Cheikh Anta Diop, entre autres.
Toutefois, le néo-panafricanisme actuel, dont le mouvement des Urgences panafricanistes se veut le prolongement en vue de la « continuité de la conscience historique » africaine chère à Cheikh Anta Diop, peut-il revendiquer une juste filiation intellectuelle avec le panafricanisme des pères fondateurs ? De quoi le néo-panafricanisme est-il le nom ?
Un début de réponse à ces interrogations plus actuelles que jamais réside dans le communiqué de la porte-parole des Urgences panafricanistes, Maud-Salomé Ekila, au lendemain de l’interpellation à Paris de Kémi Séba :
« Dans le cadre de ses activités politiques, Kémi Séba a commencé une tournée de sensibilisation des diasporas africaines sur la nécessité de soutenir et d’accompagner les processus souverainistes des peuples afrodescendants partout dans le monde. »
De l’exégèse minimale de cet extrait, il apparaît clairement que, dans sa posture messianique de porte-parole des peuples afrodescendants, Kémi Séba a initié la tournée qui l’a conduit à Paris, afin que les diasporas africaines fassent bloc autour des « processus souverainistes » des peuples dits « afrodescendants ».
Apologie des régimes militaires
Or, lorsque nous parlons de « processus souverainistes », il s’agit en réalité de quelques régimes d’Afrique de l’Ouest, et notamment de l’un de ceux pour lesquels il émarge actuellement. C’est le lieu de se demander en quel sens il s’agit de mouvements de « peuples afrodescendants ». Tous ces nouveaux régimes militaires qui revendiquent aujourd’hui des « processus souverainistes » sont arrivés au pouvoir par des coups d’État militaires. Aucun de ces nouveaux pouvoirs, au moment de leur prise de pouvoir, n’a clairement affiché une idéologie panafricaniste, encore moins souverainiste. Ils ont plutôt essayé tant bien que mal de se conformer aux exigences de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) dont ils étaient membres, notamment pour un retour à la normalité constitutionnelle et à des pouvoirs civils. Ils s’y sont tenus jusqu’au moment où leur volonté affichée de conserver le pouvoir s’est avérée inconciliable avec l’agenda de l'institution sous-régionale qui, certes, n’est pas sans reproches.
Ces militaires en ont justement tiré parti pour emboucher les trompettes du combat contre le néo-colonialisme et pour la restauration de la dignité des peuples africains. C’est alors que s’est enclenché, dans les capitales de ces pays, un ballet de néo-panafricanistes venus leur apporter le vernis idéologique et la caution populaire qui leur faisaient tant défaut. Force est de reconnaître qu’à cette occasion le leader des urgences panafricanistes a su jouer sa partition comme il n’en avait jamais eu l’opportunité en terre africaine.
À l’heure du bilan, il y a lieu de se demander ce qu’il y a de « populaire » et de « souverainiste » dans les pratiques de pouvoir de ces régimes néo-panafricanistes.
L'insécurité qu’ils se sont donné pour mission de combattre s’est accrue et menace la stabilité de ces États, comme c’est le cas actuellement au Mali et au Burkina Faso ; le respect des droits humains est en nette régression, l’opacité dans la gestion de la fortune publique et la corruption ne se sont jamais aussi bien portées, comme l’atteste le récent rapport de l’ONG Transparency International sur le Niger.
L'argent de Moscou
Mais le mouvement néo-panafricaniste et ses figures de proue ne sont pas à un reniement près. Ils ont tous en commun leur inféodation aux puissances de l’argent venu de Moscou. Ils ont ceci de singulier et d’effarant qu’ils sont alignés au garde-à-vous sur les positions de Moscou en matière de politique internationale et ne s’autorisent jamais la moindre critique, la moindre contradiction, même lorsqu’il y a lieu de porter de légitimes critiques sur la politique extérieure du Kremlin. À titre d’exemple, ils sont demeurés silencieux chaque fois que les mercenaires de l'Africa Corps (ex Wagner) se sont rendus coupables de multiples violations documentées de droits humains en République centrafricaine, au Soudan ou encore au Mali.
Tout aussi effarant, ils sont demeurés étonnamment silencieux au moment du décès dans des circonstances troubles de leur agent traitant Evgueni Prigogine, le truculent patron de l’entreprise paramilitaire Wagner, le 23 août 2023 à Koujenkino, dans un crash d'avion.
Ces silences coupables conduisent à se demander si le souverainisme de leur credo panafricaniste se limite à la dénonciation des abus de position dominante de l’Occident en Afrique. Plus grave, de quelle autonomie intellectuelle disposent-ils lorsqu’ils reçoivent leur pitance de la main de Moscou, comme l’a démontré récemment, preuves à l’appui, une enquête fouillée du magazine Jeune Afrique ?
Le temps des clarifications
Sur un plan strictement idéologique, il est grand temps de passer au crible les fondements culturels de ce néo-panafricaniste qui abuse parfois de concepts sans apporter les clarifications qui s’imposent. Vouloir faire croire qu’il existe une communauté de destin entre tous les afrodescendants à travers le monde est une escroquerie intellectuelle, historiquement et factuellement intenable. Quels intérêts politiques communs existent-ils entre une Kamala Harris, un Barack Obama et le général Abdourahamane Tiani, chef de la junte au pouvoir à Niamey ? Le fait d’avoir en commun avec un Américain noir, un Britannique noir ou un Brésilien noir un phénotype, une couleur de peau semblable, impose-t-il l’appartenance à une communauté politique ? Le mouvement des Urgences panafricanistes, autrefois Tribu K, de revendication raciale (dissous en juillet 2006 par les autorités françaises), qui postule l’idée d’une essence nègre, prospère cependant et, c’est le moins que l’on puisse en dire, sur un racisme à rebours comme l’attestent les condamnations de son leader pour incitation à la haine raciale, à l’instar d’Éric Zemmour, son pendant hexagonal.
Or, selon les termes de la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux du 27 novembre 1978, adoptée par acclamation lors de la 20e session de la Conférence générale de l'Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), article 2.1 : « Toute théorie faisant état de la supériorité ou de l’infériorité intrinsèque de groupes raciaux ou ethniques qui donnerait aux uns le droit de dominer ou d’éliminer les autres, inférieurs présumés, ou fondant des jugements de valeur sur une différence raciale, est sans fondement scientifique et contraire aux principes moraux et éthiques de l’humanité ». Pourtant, le panafricanisme originel des William Edward Burghardt du Bois, dit « W.E.B. du Bois », Kwame Nkrumah, Aimé Césaire, Cheikh Anta Diop, Léopold Sédar Senghor ou Modibo Keïta est réellement de l’humanisme. Le kémitisme et le néo-panafricanisme actuels en sont fort éloignés.
Éclaireurs de conscience
Il y a donc urgence et nécessité, dans les cercles intellectuels et médiatiques, en Afrique comme dans sa diaspora, de déconstruire toutes ces idéologies factices qui sont devenues des fonds de commerce pour leurs promoteurs et contribuent à maintenir la jeunesse africaine dans une dangereuse impasse et dans l'obscurantisme. C’est à partir de l’observation froide, sans œillères envers le réel, que l’Afrique parviendra à se hisser à la hauteur des innombrables défis d’aujourd’hui et de demain et à les relever de manière urgente. On ne transforme guère la réalité historique sur la base des mythes, mais sur des réalités. La jeunesse africaine n’a pas besoin de messies, mais d’éclaireurs de conscience, afin qu’elle parvienne à la pleine maîtrise de son destin. Le développement de l’Afrique passe au préalable par la conceptualisation d’outils de pensée qui transforment le réel pour le bien-être des peuples.
Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle