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Pourquoi Succès a fait succès au stade IMO ?

Jan 10, 2022

Succès Masra (SM) est allé chercher par la peau de ses dents, ce meeting du 8 janvier au stade Idriss Mahamat Ouya (IMO). Il l’a demandé maintes fois. Plusieurs fois sa demande est rejetée. Têtu, il ne lâche rien. À sa dernière demande et les motifs du refus, mise aux normes du stade, l’ulcère. Il décide de maintenir son rendez-vous. Même jour. Même lieu. Même heure. À 24h, les autorités reculent. Le ministre de la Jeunesse et des Sports lui accorde l’autorisation en espérant une démobilisation de ses militants à quelques heures du rendez-vous. Une condition verbale, à voix basse, lui aurait été signifiée : « les transformateurs seront responsables de toute éventuelle casse. » Et les partisans, sympathisants, amis et alliés du Conseil Militaire de transition (CMT) et de l’ex-parti au pouvoir le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) envahissent les réseaux sociaux et les salons feutrés de la capitale N’Djamena avec ces phrases à la bouche, « il ne réussira pas à remplir le stade IMO », « si les Transformateurs réussissent à le faire, nous ferons plus ». Ce 8 janvier SM et ses militants ont relevé le défi : 20 000 participants au meeting. Un homme politique et son parti Les Transformateurs naissent ce jour. Alors pourquoi, sans jeu de mots ni jeu de noms, Succès a eu du succès au stade IMO ?

La première raison, c’est la fatigue de la majorité des Tchadiens. À cela, il faut ajouter le besoin viscéral de la nouveauté. De nouveaux visages. Une envie dévorante de renouvellement de la classe politique, mais pas avec des « dos de pic » ni des héritiers du système que les Tchadiens appellent « koul loum sawa » (tous pareils). Les Tchadiens veulent donc des hommes ou des femmes méritants qui leur parlent en leur disant qu’ils comptent, qu’ils sont importants. Depuis des décennies, ils assistent désespérés à une lutte entre une vieille opposition compromise et un pouvoir sclérosé, usé par 30 ans d’un exercice de pouvoir à l’avantage d’une catégorie de Tchadiens. SM et son parti ferraillent dure pour se faire reconnaître. Ils sont presque seuls contre un système fait des petits arrangements entre des vieux partis établis, des petits partis personnels et le défunt président Deby Itno. Ensuite par ses héritiers politico-militaires, la junte et le MPS. SM a su lire cette demande. Il s'est mis à affiner son discours comme une ode à l’espérance. Il s’est mû en véritable gourou, non pas du changement, mais de la Transformation du Tchad. Le secret est dans le choix du mot. Il arrose ses expressions d'une pincée des référants mi-religieux mi-historiques. Il emploie des phrases simples pour désigner des choses complexes, « quand le chemin est dur, c’est aux durs de tracer le chemin ». Il se place en victime d’un système. Il dit ne pas demander de la pitié pour faire sa place. Il la réclame tout en clamant être une victime d'un système injuste comme le sont les autres Tchadiens.

La deuxième raison, c’est le zèle de vouloir à tout prix exclure son parti, les Transformateurs. Les qualifiant tantôt de parti virtuel, tantôt de parti méridional composé essentiellement des Tchadiens du sud. Ce qui est pour l’instant vrai. Le président de la transition semble avoir compris le non-sens de cet acharnement contre les Transformateurs. Il a dès le lendemain de son arrivée au pouvoir, reconnu ce parti. Et il semble avoir joué un grand rôle dans l’autorisation du meeting du 8 janvier. Il a aussi compris que cette obstruction est contre-productive. Tout est donc à l’honneur du PCMT, Mahamat Idriss Deby Itno d’avoir compris et, peut-être, qu'il est sans s’en rendre compte entrain de démystifier Masra pour affaiblir Succès. Toutefois, la tâche sera difficile tant l’épisode du stade IMO a marqué les esprits. Bref, l’argument victimaire ou le zèle vient d’être ôté au chef des Transformateurs.

La troisième raison, c’est la cohérence et la persévérance de M. Masra. Il est le seul leader à avoir un discours cohérent face à la junte. Il a demandé, au premier jour, une transition civile, une charte modifiée et un dialogue souverain. Il a placé son parti comme un contre-pouvoir à la junte. Il a su prendre la place du leader de l’opposition à la place de certains qui ont choisi la collaboration avec la junte désertant ainsi leur rôle d’opposant. Ils croyaient changer le système de l’intérieur oubliant au passage qu’ils avaient déjà servi cette recette aux Tchadiens du temps du défunt Maréchal. Ils ont réussi une chose : ne rien changer. Ils n’ont pas tiré de leçons de leur échec. Ils n’ont surtout pas compris que le contexte est historique et unique. Ils se sont discrédités pour si peu. Alors qu’ils pouvaient tout gagner.

Aussi, SM et sa troupe ont été persévérants. Patients. Ils ont su choisir leurs armes. Avec ces armes, ils ont creusé leur sillon. Et conquit peu à peu, jour après jour leur place. À chaque étape ils ont un objectif à atteindre. Hier ils ont conquis la rue, en perturbant le pouvoir. Aujourd’hui, ils ont capturé le stade IMO en le remplissant. Demain, ils ambitionnent de monter à l’assaut de la Place de la nation, à un jet de pierre du Palais présidentiel.

Enfin, Succès a du succès parce qu’il a su allier sa méthode de pasteur presbytérien à sa rhétorique de gourou. Il aime les symboles. Il cite les grands Africains et les grands hommes noirs qui ont marqué l’histoire. Les murs de son bureau sont tapissés de leurs images : Mandela, Martin Luther King, etc. Ne dit-on pas qu’il faut imiter ou se rapprocher des grands esprits, à défaut d’être eux?  SM en rêve, mais à leur différence, il veut servir son pays. Il crée même pour cela son propre concept « le leadership serviteur et transformateur ». Hier au stade IMO, il dit que le Tchad n'a eu que des chefs d’État, jamais des hommes d’État. Qui pourra lui reprocher cette conviction ? Il croit à son destin en associant les Tchadiens à son ambition. Il affirme ne pas être seul. Il veut peser sur le dialogue qui s’approche. Fort de sa démonstration de force le 8 janvier dernier, il monte les enchères et met de la pression sur la junte. Il vient de signer sa présence réelle. Désormais, il existe. Lui à qui on a nié l'existence politique. Il lui reste le test des urnes qui lui donnera l’onction de la légitimé populaire. Et la vraie mesure de son poids politique mais ça, c’est une autre histoire.

Bello Bakary Mana  

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