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Entretien avec Dr Boulada Jean-prospère

Oct 12, 2003

«...La paix au Tchad ne peut pas être une paix bilatérale. Ce ne sera pas une paix entre le Pouvoir et le MDJT moins encore une paix entre le Pouvoir et la CMAP et il fallait s'y attendre...» Dr Boulada Jean-prospère président de la CMAP/dd 

Au cours de la rencontre qui a duré une demi-journée dans le luxueux appartement de son Hôtel au centre-ville de Montréal, le président de la CMAP/dd le Dr Boulada Jean-prospère et sa délégation nous ont reçu chaleureusement. Interroger par ialtchad Presse, le président Dr. Boulada nous a confié que la CMAP/dd est, et reste toujours ouvert de cœur et d’esprit. Car, dit-il, la CMAP/dd a été créé pour relancer la dynamique de paix et de dialogue avec les acteurs de la vie politique tchadienne. Mais il estime que l'exigence de paix et de démocratie, condition sine qua none du développement, exige à son tour des garanties solides et fiables ainsi que l'implication de la communauté internationale et cette tournée Nord-américaine est utile pour cette perspective.
Dans cet entretien, il a bien voulu nous livrer en toute franchise ses impressions, sa vision sur la paix et la démocratie au Tchad, et les problèmes de l’heure. A la tête d’une délégation, Dr Boulada a eu à effectuer plusieurs contacts avec notamment les autorités Canadiennes, quelques ONG et surtout une grande rencontre avec les ressortissants Tchadiens du Québec. 

Ialtchad Presse : - Mr le Président, la visite d’un des chefs de l'opposition Tchadienne (CMAP/dd) en Amérique du Nord est un événement important. Peut-on connaître les raisons qui motivent cette visite et ce qui en est attendu?
Dr Boulada Jean-prospère: La CMAP/dd a suivi avec un grand intérêt la récente tournée en Afrique de Jean Chrétien premier ministre du canada en vue de la préparation du sommet de G8. Ce sommet qui s’est déroulé du 25 au 28 juin à Kananaski et présidé par le Canada, a fait un certain nombre de déclarations et pris des résolutions sur le concept du développement durable sur le continent africain. Ce concept intègre nécessairement la démocratie et la paix. Ces résolutions ne peuvent que rencontrer l’adhésion de la CMAP/dd. On se rappelle que c’était dans cette optique que la CMAP originelle avait mis en place une commission baptisée «commission dialogue et paix» présidée par le commissaire aux relations extérieures, le Dr Ley Ngardigal. Cette commission s’était rendue au Tchad en décembre 2001. Les discussions que nous avons eues avec le président de la république et le gouvernement s’inscrivaient dans cette dynamique de paix. Vous pouvez vous référer au communiqué commun CMAP/Gouvernement.
   L’exigence de paix et démocratie, condition sinon quo none du développement, exige à son tour des garanties solides et fiables et une implication de la communauté internationale particulièrement en ce moment où après la formation du nouveau gouvernement et l’installation de la nouvelle assemblé, le dialogue entre les différents protagonistes de la crise politique, tchadienne, reste malgré tout bloqué. Le Canada et les usa, dont la contribution, pour la paix dans le monde est très appréciée nous seraient utiles dans cette nouvelle dynamique de paix que la CMAP/dd a voulu relancer. D’où l’objet de ma visite en Amérique du nord placée sous deux angles, politique essentiellement puis professionnel.
   Pour ce qui est du volet politique, la CMAP/dd dont j’ai l’honneur de présider la destinée souhaite 
  1- Rencontrer les autorités politiques du Canada et des usa pour évoquer la contribution de ces deux pays à la reprise du dialogue politique inter tchadien suivi d'une conférence de paix globale.
   2- Rencontrer les Ong.
   3- rencontrer la diaspora tchadienne.
   4- Rencontrer l’équipe ialtchad Presse.
   Pour ce qui est du volet professionnel, je suis expert judiciaire près de la cour d’appel de Colmar (France). C’est à dire personne qualifiée pour faire la traduction et l’interprétation d’une langue dans une autre au pénal. En effet je suis traducteur interprète  freelance assermenté de russe-français. Je suis membre de la société française des traducteurs (SFT), elle-même membre de la fédération Internationale des traducteurs (FIT). La Fit tient son 16ème (XVI) congrès en ce moment à Vancouver. Et je suis attendu avec une communication scientifique sur le statut des traducteurs interprètes jurés en Alsace et Moselle.

Ialtchad Presse : - Mr le Président, où en êtes-vous de vos contacts avec les autorités canadiennes ?
Dr
Boulada Jean-prospère: Dès notre arrivés, nous avons pris contact avec le cabinet du premier ministre Jean Chrétien pour envoyer une demande d’audience, faisant suite au courrier que notre commissaire aux relations extérieures, Dr Ley-Ngardigal lui avait précédemment envoyé. Le cabinet est au courant des contraintes de la durée de mon séjour au Canada. Mais comme vous pouvez le constater, entre le remaniement ministériel et les rencontres programmées avec les personnalités importantes, le premier ministre Mr Jean Chrétien est très occupé. Malgré tout son cabinet nous assure que nous aurons incessamment réponse à notre demande d’audience.

Ialtchad Presse : - Mr le Président, quelle est votre vision de dialogue et paix au Tchad: Paix ou guerre ? Accord de paix du 07 Janvier 2002 entre le MDJT et le pouvoir ?
Dr
Boulada Jean-prospère: Manque de pot, la délégation de la Commission Dialogue et Paix qui s'était rendu au Tchad, avait refusé de considérer son acte politique posé au Président de la République et à son Gouvernement comme relevant d'un jeu ou d'une simple opération médiatique en signant le communiqué conjoint CMAP-Gouvemement et en acceptant l'invitation du Président de la République d'aller à Komé, malgré les oppositions des cadres du FNTR, démontrant par-là que leurs pieds étaient dehors par rapport à l'acte politique que nous avons collectivement posé. Deuxième raison: celle-ci est la plus importante qui différencie fondamentalement la CMAP/dd de la CMAP/FNTR. Ce n'est pas par ce que la Commission Dialogue et Paix de la CMAP est allée au Tchad remettre son projet de Paix globale et discuter avec le Président de la République que cette Commission, par, un tour de passe-passe magique, était devenue amnésique au point de ne plus reconnaître qu'il y a des foyers de rébellion au Tchad et donc des problèmes politiques. C'est la raison pour laquelle la Commission Dialogue et Paix avait négocié durement avec le pouvoir pour admettre dans un texte juridique que l'abandon de la lutte armée au Tchad, ne pouvait être la conséquence d'une paix globale de tous les protagonistes assis autour d'une même table. À l'époque quand nous étions au Tchad, nous avions pensé au MDJT, nous avions pensé aux autres politico-militaires opérant ou non sur le terrain ou qui sont en exil. Quand vous faites une analyse de la situation socio-politique et économique du Tchad et que vous vous demandez ce que les fils de ce pays sont capables de lui offrir, vous avez le cœur gros comme une patate.
   Le Tchad, après plus de quatre décennies d'indépendance, regorge de cadres techniques et scientifiques de talent. Mais pour des raisons de paix introuvable, la plupart sont pris en otage en exil. C'est pourquoi, pour nous, il faut d'abord créer les conditions d'une paix globale. Pour reprendre l'expression du Président de la République, que les fils du pays se retrouvent et mettent ce qu'ils ont proposé «dans la balance: on pèse le pour et le contre et on prend ce qui est utile pour le pays», avant de proclamer solennellement l'abandon de la lutte armée. C'est ce que l'ancienne Commission Dialogue et Paix avait réussi à obtenir du pouvoir. La paix au Tchad ne peut pas être une paix bilatérale. Ce ne sera pas une paix entre le Pouvoir et le MDJT moins encore une paix entre le Pouvoir et la CMAP et il fallait s'y attendre : l'accord de paix cadre entre le MDJT et le Pouvoir scellé le 7 janvier 2002 à Tripoli ne pouvait que faire long feu. Pourquoi ? En dehors des raisons multiples dont les explications seront longues à développer, nous dirons qu'il-n ‘y a pas de confiance entre les deux parties et le syndrome des évènements de février 1979 (guerre civile provoquée par un Premier Ministre contre le Président de la République), ne pouvait que durci les positions et faire voler en éclat cet accord entre l'exigence de l'intégration dans l'armée dite nationale des éléments du MDJT et la formation d'un gouvernement de transition.
   Le MDJT a pris les armes pour combattre l'injustice. Depuis, ces combattants et cadres ont payé un lourd fardeau pour cet engagement et courage légendaire que nous leur concédons. Mais ce n'est pas par ce que les autres Tchadiens n'ont pris les armes qu'ils ne pensent pas moins aux voies et moyens pour établir un Etat de droit véritable au Tchad, c'est-à-dire la paix, la justice et la démocratie. Cette tendance qui consiste à décréter à un parti ou à mouvement la respectabilité politique par un rapport de force militaire qu'il maintient sur le terrain et à considérer l'autre qui ne fait usage de la violence comme une entité négligeable, est une tendance qui fait l'apologie de la violence. Il est vrai que ceux qui ont décidé de la conduite de la guerre et de la lutte armée, ont peu réfléchi aux conséquences mais aux causes. Les conséquences qui sont tout de même des vies humaines sacrifiées et la destruction des infrastructures socio-économiques, la pose des mines anti personnelles, valent-elles les causes nobles, soient-elles, qu'on peut négocier. Pour négocier, il faut que les intérêts des uns et des autres soient préservés ou trouvent un compromis. Autrement, nous n'arriverons jamais à faire sauter les verrous de la négociation. Nous ne pouvons que pousser les protagonistes du conflit dans leurs derniers retranchements par une intransigeance et un jusqu'auboutisme suicidaires pour eux-mêmes et pour le peuple. Il n'y a pas que des Tchadiens qui font l'apologie de la violence. Certaines chancelleries occidentales vous tiennent le discours similaire alors qu' elles sont les premières à mobiliser tous leurs moyens d'information de masse pour vous discréditer d'avoir utilisé la violence dans votre conquête du pouvoir. Or l'apologie de la violence dans l'histoire du Tchad, est une catastrophe. Alors le moment est venu pour la nouvelle génération d'hommes et de femmes Tchadiens de voir autrement la politique. Quand nous faisons de tel raisonnement, les mêmes chancelleries n'ont fait qu’acquiescer que nous avons raison. C'était le sens de la démarche de la CMAP dont sa Commission Dialogue et Paix a rencontré le Président Idriss Deby en décembre 2001 à N'Djaména. Tous les problèmes posés par le MDJT à savoir la formation d'un gouvernement de transition, la réforme de l'armée et des institutions de la République, sont réels. Mais cet accord ne marchera pas par ce qu'il est bilatéral. Au niveau de la CMAP/dd, nous n'avons de cesse de répéter que si accord, il y a, il doit être global d'un accord. Un accord de paix global concerne tous les acteurs de la vie politique tchadienne, la société civile et les ADH. Un tel cadre qui fera appel de témoins aux institutions internationales à savoir la naissante l'UA et l'ONU et des observateurs internationaux et illustres personnalités tel que Nelson Mandela, est une garantie sûre au Président Idriss Deby que l'application de cet accord de paix global par un gouvernement tchadien quel qu' il soit, que ce soit celui de la transition (à former après l'accord de paix global) ou celui qui sera issu des élections libres organisées par le gouvernement de transition, ne le poursuivra pas pour complicité de tortures et crimes de Hissein Habré. C'est uniquement à ces conditions qu'on ferra sauter les verrous de la paix introuvable au Tchad. Sur l'exemple de l'Afrique du Sud, nous pensons qu'il n'y a pas des problèmes que les Tchadiens ne peuvent pas négocier pour avoir la paix.
   Pour la CMAP/dd, c'est dans les phases préparatoires de cette conférence de paix globale qu'on élabora la plateforme du gouvernement de transition. Le gouvernement de transition ne sera pas un gouvernement déjà connu dans l'histoire du Tchad. C'est un gouvernement spécial dont le contour va être balisé pour éviter les dérives qu'a connues le Tchad. Il doit définir ses relations avec le pouvoir exécutif (statut du Président de la République) législatif et judiciaire.

Ialtchad Presse : - Mr le Président, quelle est aujourd'hui le rapport de force à l’échelle nationale et international ?
Dr
Boulada Jean-prospère: Je schématise les données la France est avec idriss deby, les usa sont avec idriss deby, les institutions financières internationales (BM) sont avec idriss deby, les consortiums sont avec idriss deby. Ajouter à cela, le fait que le 11 septembre ne permet pas à la lutte armée d'avoir un écho favorable.
- L’opposition politico-militaire dans son ensemble est divisée car elle s’enfonce dans des querelles de leadership
- N'en parlons plus de l’opposition intérieur démocratique.
Chers compatriotes. Nous sommes entre nous. Et nous pouvons parler à cœur ouvert. Ce que je vais vous dire, beaucoup le savent déjà. Notre pays est un enjeu international principalement pour sa richesse mais aussi pour sa position géopolitique. On a dit et répété que le développement d’un pays ne peut se concevoir sans démocratie. Or notre pays a fait l’objet de deux hold-up électoraux successifs. 

Ialtchad Presse : - Mr le Président, quel sentiment vous inspire l’abandon de la lutte armée par le FNTR ?
Dr Boulada Jean-prospère: Le FNTR est un mouvement qui se dit politico-militaire et revendique à son actif 400 combattants opérant à l'Est du pays. Quelle est la réalité de son rapport de force militaire sur le terrain ? Nous ne le savons pas pour ne pas dire inexistant. Entant que mouvement signataire du Protocole d' Accords portant création de la CMAP, le FNTR est libre de ses activités politiques par rapport au choix des formes de lutte et de sa stratégie pourvu que celles-ci ne portent pas atteinte ou ne nuisent à la Coordination dans son ensemble. Or la Coordination a connu une longue période de crise par la faute des cadres dirigeants du FNTR et la CMAP originelle s'est muée en CMAP/dd dont les membres m'ont honoré de leur confiance pour me nommer à la Présidence. L’autre groupe, est justement celui que nous avons qualifié de CMAP/FNTR.
   Donc, l’abandon de la lutte armée par le FNTR, pour revenir précisément à votre question, est pour la CMAP/dd, un non-événement. Pour plusieurs raisons. Première raison : D'abord, ce n'est pas au 6ème Congrès que le choix de cette stratégie anime les dirigeants du FNTR. Déjà au 5ème Congrès la question cogitait leurs esprits, ce qui se reflétait dans leurs déclarations publiques. Eh bien, dans ce cas il faut joindre l’acte à la parole. Pour nous, quand on pose un acte politique, il faut le suivre jusqu' au bout. Et vous allez le comprendre dans notre démonstration que l’acte posé par les cadres du FNTR se résume à un pied dedans, un pied dehors. C'est ainsi que l'acte d'une proposition du dialogue avec le pouvoir, a été considéré par les cadres du FNTR comme une opération médiatique.

Ialtchad Presse : - Mr le Président, si on peut revenir un peu en arrière, quelle place laissez-vous à vos anciens frères d’armes, la CMAP/FNTR comme vous la qualifiez?
Dr
Boulada Jean-prospère: Permettez-nous Mr Brahim d'être peu loquaces à ce sujet. Nous avons définitivement tiré un trait sur notre passé. Cela se comprend car nous n’allons pas éternellement trimbaler derrière nous nos vieilles casseroles ce n’est pas du tout péjoratif l’expression «vieilles casseroles». Nous ne visons pas quelqu’un ni un mouvement politique en particulier. Les vieilles casseroles pour nous sont :
  - Les incompréhensions

 - les interprétations tendancieuses de notre initiative du dialogue  et de paix
  - les querelles de leadership
  - les crocs-en-jambe ou peaux de banane intentionnellement posées sur nos chemins.
  - Les discussions interminables sur des questions de forme alors qu'il est plus utile pour le pays de discuter sur des problèmes de fond. Il appartient à tous ceux et toutes celles qui sont rompus à cette vision anachronique de nous rejoindre dans cette nouvelle dynamique de paix.

Ialtchad Presse : - Mr le Président, Ialtchad Presse pour vous en quelques mots ?
Dr Boulada Jean-prospère: Ialtchad Presse est un des sites tchadiens les plus performants, transcendant, faut-il le rappeler les clivages. Ialtchad Presse apporte à sa manière sa pierre à l’édification du Tchad, pour ces mines d’informations sur son site, cette tribune du débat d’idées et du débat contradictoire, permettant aux tchadiens de la diaspora de s’extérioriser à défaut d’influer sur le cours des évènements au Tchad. Ce qui, en soit, est déjà une thérapie du groupe, dans ces pays d’exil, où, en dépit de leur hospitalité légendaire, vous rencontrez des frustrations de toutes sortes. Ialtchad Presse contribue à la sainteté d’esprit de nos ressortissants et le Tchad a besoin de ses fils sains d'esprit, et Ialtchad Presse y est pour beaucoup.

Ialtchad Presse : - Merci Mr le président et bons séjours en Amérique du Nord

Dr Boulada Jean-prospère: C'est moi qui vous remercie

Interview réalisée par Brahim Wardougou 

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