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Referendum et ville morte : éviter la confusion svp

Written by  Juil 12, 2005

L’échec patent du mot d’ordre de « ville morte » lancée conjointement par la CPDC, les partis alliés et la société civile, y compris l’UST, devrait être l’occasion pour les acteurs publics de réviser leurs critères d’analyse. En effet, fort du succès indéniable du boycott massif du référendum et du vote du « non » par les partisans même du pouvoir MPS, l’opposition avait commis sa première erreur d’appréciation en croyant en la paternité de cet événement. Il est vrai qu’en l’absence d’une rétrospective rigoureuse des processus passés, la CPDC peut se targuer d’avoir été l’auteur du mot d’ordre de boycott du référendum. Cependant, en analysant autrement les données, on pourrait soutenir que la manière assez cavalière avec laquelle le pouvoir MPS avait procédé au recensement, ne pouvait qu’encourager ce mouvement de boycott massif. Le recensement s’était fait à domicile, en l’absence des chefs de famille allés travailler. Beaucoup d’électeurs avertis étaient déjà exclus du vote par ce procédé. Moi-même, qui avait demandé dans la presse locale aux compatriotes de se faire recenser, quitte à ce que les forces politiques et de la société civile prennent leur responsabilité pour répertorier et dénoncer les fraudes sur les listes électorales, je ne réussirai jamais à obtenir une carte d’électeur !

Une autre raison du boycott massif a été donnée par les compatriotes Dingamnaïssem Nébé et Donangué Guy Blaise dans leur témoignage du 25/05/05 « Ne touchez pas à la Constitution » in Ialtchad.com (forum actualités) : Si, sur 5 millions de cartes d’électeurs produits, seulement 1.400 000 auraient été distribuées dans le Sud majoritaire, arithmétiquement il était difficile au pouvoir de faire sortir physiquement 3.600 000 électeurs des bourgades du Nord pour voter « oui ». Ce qui était un « auto-boycott » organisé par le pouvoir lui-même, faute d’électeurs physiques pouvant aller voter ! Les autres raisons ont été largement relevées par la presse locale, mais le point commun de démotivation des citoyens était : « ça ne sert à rien d’aller voter si mon choix ne sera pas pris en compte ».

Avec cette lecture plutôt critique, on peut minimiser l’effet du mot d’ordre de la CPDC tout en lui reconnaissant une part de la gifle du 6 juin dernier. Maintenant, de là à appeler à la « ville morte » pour les mêmes raisons évoquées, les enjeux n’étaient plus les mêmes entre l’opposition et la population. En effet, autant la population ne croit plus à la voie des urnes, autant elle n’a pas perçu l’issue de la stratégie de « ville morte » de l’opposition. Au vu des réalités africaines, est-ce que la ville morte seule pourrait contraindre le pouvoir à renoncer à ses intentions ? Seuls des naïfs pourraient s’y laisser prendre ! Alors, l’échec du 27 juin serait un autre camouflet infligé cette fois-ci à l’opposition pour son manque de réalisme et ses mauvais choix.

L’opposition tchadienne ne s’est pas encore remise en cause sur trois points fondamentaux :

  • Son instabilité chronique qui déroute ses propres militants appelés à défendre tour à tour des positions contraires du jour au lendemain, tantôt pour, tantôt contre le pouvoir selon que ses leaders sont ou non aux affaires ;
  • Le manque de courage personnel de ses leaders, refusant toujours de prendre la tête des marches pacifiques, au motif d’éviter les balles des mercenaires du régime, ils ont préféré les mots d’ordre lancés depuis leurs salons de thé comme si la masse citoyenne devait leur servir d’appât ; avec un électorat de plus en plus rajeuni, impatient au changement et nerveux, l’attitude des leaders de l’opposition a créé un fossé d’écart sous leurs pieds. À titre d’exemple, après l’enterrement du jeune militant de l’UDR abattu en 2000 par la police GR devant chez M. Kebzabo, les femmes décidèrent spontanément de marcher. A la surprise générale, celles des leaders s’engouffrèrent chacune dans leur voiture au lieu de donner l’exemple : les autres femmes, sidérées, renoncèrent alors de servir d’appât pour ses grandes dames de la République et leurs époux !
  • Enfin, le péché mignon de l’opposition tchadienne est la marche du caméléon : en effet, en dehors d’aboutir toujours au schéma de gouvernement d’ouverture sans programme commun ni pouvoirs réels, les pressions envisagées par l’opposition visent souvent le cours terme, surtout les intérêts corporatistes des leaders. Cela, la population semble l’avoir compris après 14 années de tâtonnement, en comparaison avec les expériences plus encourageantes d’autres pays africains où l’esprit de responsabilité était à la vraie mesure des enjeux.

Tout ceci aura pour effet d’installer durablement le pays dans les errements et l’échec total de la démocratie, et justifiera un jour l’avènement d’une dictature transitoire pour remettre de l’ordre. Un pouvoir qui poserait des actes contraires à la volonté des citoyens même légalement, et une opposition qui n’arrive pas à se mettre à la hauteur des vrais enjeux populaires, c’est le meilleur décor pour l’avènement imminent de révolutionnaires intransigeants et intègres. La « révolution des mangues » préconisée par M. Sougui Nour ou la proposition de sortie de crise en 8 points faite par M. Bourma Daoud Ahmat dont l’essentiel figure dans le Manifeste de la Renaissance Nationale (tous in www.ialtchad.com ), sont des probabilités qui échapperaient totalement au pouvoir et à l’opposition dans leurs capacités analytiques et tactiques actuelles. Comment en serait-il autrement quand les indicateurs sociaux et économiques au rouge vont même cesser bientôt de clignoter (exemple de l’agonie de la filière coton) ? Une opposition responsable devrait savoir choisir les bons mots d’ordre face à un pouvoir minoritaire certes, mais fortement soutenu de l’intérieur par une intelligentsia de la bouffonnerie et des cercles néocoloniaux insensibles à la liberté des peuples qu’ils exploitent et oppriment depuis des générations. Déjà affaiblie en elle-même, malgré ses potentialités indéniables, l’opposition tchadienne risquerait de signer sa propre perte en ne faisant pas son autocritique.

En un mot, la classe politique, pouvoir et opposition, vient de subir la correction magistrale et simple des citoyens les 6 et 27 juin dernier. Chacun fait comme s’il ne s’agissait pas de lui, mais les choses ne font que commencer. Car, contre toute attente, un jour viendra où le sort du pays se jouera en définitive dans la rue…Parions-le !

Enoch Djondang

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