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Le Tchad et sa diplomatie : quelles perspectives pour sortir des pièges de la diplomatie classique ?

Written by  Mai 16, 2009

Dans notre précédent article intitulé « Quelles réformes pour une diplomatie de développement au Tchad ? », nous avons mis en évidence les aspects généraux des dysfonctionnements au sein de certaines de nos représentations diplomatiques et dans quelle mesure nous pouvons contribuer à la redynamisation de la diplomatie tchadienne pour le développement national. Dans cette deuxième partie, nous allons tenter d’appréhender les avantages que nous pouvons tirer des pratiques diplomatiques et de leur évolution pour un réel développement de notre pays.

Le diplomate camerounais M. Jean Claude SHANDA TONME a considéré, dans ses mémoires d’un diplomate africain, que « la diplomatie est un art de cynisme éprouvé, constamment habillé dans un costume cousu de fausses convivialités, d’amabilités trompeuses, de ruses, d’ingratitudes extraordinaires et bien souvent d’égoïsmes mortels. Elle n’est en effet ni une science, ni une religion, mais une méthodologie indépendante de protection et de promotion des intérêts modulables selon le temps, les partenaires, les objectifs et les facteurs d’influence ». Il ajoute qu’on ne naît pas diplomate et on ne se forme pas pour devenir diplomate. Il y a tout un processus d’acquisition, d’héritage, de captage et d’adaptation aux exigences d’un métier qui est surtout une somme de trait de caractère, de fait d’armes et d’intelligence. Avoir étudié les relations internationales et être impliqué dans la structure active de conception ou d’exécution des stratégies d’un ministère des affaires étrangères ou d’une organisation internationale, ne confèrent point la qualité de diplomate.

Nous pensons, à quelques nuances près, que cette conception de la diplomatie de M. SHANDA TONME peut être profitable aux pratiques diplomatiques des Etats les moins avancés en général, et du Tchad en particulier, dans le sens que l’engagement personnel et habile, nourri d’une volonté et d’une expérience conséquentes, enrichi par ailleurs par une culture générale expansive et prospective, permet de dépasser ses habillages formels (convivialités, amabilités, formations ….) et d’approcher la réalité de la carrière diplomatique avec réalisme, dynamisme et flexibilité en vue de résultats tangibles.

Il est vrai que les réelles prédispositions caractérielles mêlées à un sens élevé de la curiosité et de l’information sont nécessaires et utiles à un diplomate. Cependant, les formations qui intègrent dans leur cursus des programmes relatifs au métier de diplomate contribuent sans aucun doute à la préparation et à l’initiation des futurs diplômés à la carrière diplomatique. Elles leur donnent aussi les capacités de s’intégrer au monde diplomatique et de s’adapter à son évolution, dans un mouvement permanent d’innovation, de création et de progrès. Ceci est un clin d’œil lancé à l’Ecole Nationale d’Administration et de la Magistrature (ENAM) du Tchad, l’un des piliers de la formation des cadres tchadiens, pour réorienter ses perspectives de formation au regard de l’évolution du contexte national et international en général, et du monde diplomatique en particulier.

 Dans le contexte international actuel, la diplomatie évolue très rapidement de sorte qu’elle oblige la plupart des pays les plus vulnérables, disposant de peu de ressources, de s’y adapter continuellement en mettant à contribution toutes leurs forces pour être partout où la nécessité s’impose, en faisant appel à l’intelligence, aux capacités et aux qualités de leurs cadres. C’est le cas lors des négociations bilatérales et multilatérales dans les domaines du commerce, du développement, du règlement pacifique des conflits de tout genre, etc.

Dans ce genre de rencontres, les diplomates des pays les moins avancés se doivent d’user de tous les moyens formels et surtout informels à leur disposition pour obtenir des résultats souhaitables et bénéfiques pour le développement durable de leurs pays. Quelques fois, ils y parviendront, mais dans la plupart des cas les résultats attendus ne sont pas à la hauteur des espérances et des sacrifices consentis. Ainsi, à partir du bilan des expériences personnelles et collectives, chacun de nous pourrait s’interroger si le diplomate d’un pays pauvre devrait intervenir sur la scène diplomatique de la même manière que les diplomates des pays riches.

Personnellement, nous pensons que les diplomates des pays les moins avancés – dont le Tchad fait partie – ne devraient pas rester prisonniers de la diplomatie classique, des habillages trompeurs ; même si les règles et conventions sont les mêmes pour tous, les dés sont pipés : les points de départ étant différents entre les diplomates des pays pauvres et ceux des pays riches. De ce fait, il serait illusoire de penser que la diplomatie classique a les mêmes avantages et les mêmes contraintes pour ces diplomates ; les priorités et l’urgence des situations des pays pauvres doivent primer sur d’autres considérations. 

Au-delà des règles et conventions diplomatiques internationales auxquelles les pays les moins avancés ont souscrit et face aux attentes légitimes de leurs populations, la difficulté majeure de ces pays réside dans leur capacité et leur habileté à se faire entendre dans les négociations bilatérales et multilatérales. Dans la même ligne de pensée que M. SHANDA TONME, nous considérons qu’au-delà des ressources disponibles, le problème se pose en termes de conviction et d’engagement individuels et collectifs, d’union sacrée au sein d’un groupe donné dans une structure internationale (par exemple les pays africains au sein de l’OMC, la CNUCED, l’OMPI, le HCR, le HCDH etc.) ainsi que de la capacité à user de tous les moyens et opportunités informels pour atteindre des résultats voulus. Sans conscience des intérêts nationaux, point de diplomate efficient et efficace. Sans recours à tous les moyens possibles à la hauteur des objectifs poursuivis, point de résultats souhaités et souhaitables.

Il serait judicieux que, dans le cadre de sa coopération bilatérale et multilatérale, le Tchad aille au-delà des aspects non utilitaristes des relations diplomatiques. En plus de la recherche de la paix et de la stabilité du pays, l’Etat tchadien se doit de sortir de la diplomatie attentiste et user de ses atouts formels et informels pour mener une offensive diplomatique tournée vers de nouveaux partenaires plus bénéfiques – à moindre coût, dans des domaines essentiels pour le développement du pays tels que l’énergie, la santé publique, l’eau, l’environnement, l’enseignement supérieur, technique et professionnel, les banques, les assurances, etc. Il se doit aussi de tirer le maximum de profits de l’expertise technique et scientifique des institutions internationales.

Pour être à la hauteur de cette ambition, une mobilisation et une gestion rationnelle de toutes les ressources humaines et matérielles dont dispose le Tchad dans le domaine de la diplomatie ainsi que l’acquisition de nouveaux atouts techniques et scientifiques sont impératives. Dans cette optique, il est non seulement indispensable que nos représentations diplomatiques assainissent leur fonctionnement, mais aussi nécessaire que nos diplomates sortent de la « clochardisation » qu’évoquait déjà en 1995 notre confrère Mahamat Ahmat Adamou (Cf. M. Hassan Mayo Abakaka, dans son article « Quelle diplomatie pour le Tchad ? »). Par ailleurs, face au rythme auquel évoluent la diplomatie internationale et le contexte national et international, notre diplomatie a besoin du sang neuf, de nouveaux talents, de nouvelles compétences et qualités, en plus de l’expérience des aînés, dans une complémentarité constructive et une harmonie créatrice.  

En définitive, l’influence diplomatique du Tchad sur la scène régionale et internationale ainsi que la contribution de sa diplomatie au développement local et national, dépendent de la volonté de nos décideurs politiques, de leur capacité et de la vitesse de réaction et d’adaptation face aux multiples et nouveaux défis nationaux et internationaux en général, et diplomatiques en particulier.

Talha Mahamat Allim

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