jeudi 28 mars 2024

Ialtchad Le Point : Issa Serge Coelho, le « Monsieur Cinéma Tchadien »

Jui 10, 2020

La jeune cinquantaine bien rodée, l’allure calme, le ton posé et le verbe mesuré, le cinéaste et documentariste Issa Serge Coelho est passé dans nos studios pour parler du cinéma tchadien et de la culture en général. Entretien.

Vous êtes peu connu du public, très discret. Qui êtes-vous Issa Serge Coelho?

Je suis tchadien né à Biltine, ville de l’Est du pays. J’ai eu une enfance heureuse comme beaucoup d’autres dans cette ville avant que ma famille ne décide de s’installer à N’Djamena, la capitale. J’ai connu les affres de la guerre comme la plupart des tchadiens de ma génération. J’ai connu l’exil, conséquence de cette guerre des années 79-80, notamment au Mali où j’ai fait mon collège et le Lycée. Ensuite, l’exil s’est poursuivi en France où j’ai fait des études supérieures en Histoire à la faculté et en Cinéma à l’École Supérieure de réalisation audiovisuelle. A la fin de cette formation j’ai fait un stage. Ensuite, j’ai travaillé comme cameraman pour les chaînes françaises France3, Canal+ et M6. L’envie de faire des films m’obstinait.

Pourquoi avoir choisi de rentrer au pays?

Je dirais que c’est l’appel du pays, autrement dit « l’appel du cordon ombilical ». Une envie viscérale de garder un lien fort avec le Tchad, de parler de ce pays à travers le cinéma. Je l’ai fait grâce à mon premier film, une fiction intitulée « Taxi pour Aouzou » présenté au FESPACO 93 à Ouagadougou au Burkina Faso.

De quoi avez-vous voulu parler dans ce film?

Simplement parler du Tchad. C’est comme une lettre aux amis. J’ai choisi de le faire à travers la journée d’un taximan sur fond du décor de la ville de N’Djamena. Le taxi, c’est le tour de contrôle très réaliste de nos vies. Les gens se rencontrent dans le taxi, ils se mélangent, ils se parlent sans forcément se connaître. Le taxi permet de saisir les réalités. C’est une tranche de la vie réelle.

Vous êtes le « M. cinéma du pays », « le gardien du temple », comment se porte l’industrie du cinéma Tchadien?

Il n’y a pas d’industrie cinématographique au Tchad. Une industrie, c’est une organisation avec un cadre fixe, des fonds, des sociétés de production, des écoles, de la production soutenue etc. Il y a des Tchadiens qui font des films. Ils s’organisent pour le faire par le besoin d’expression. C’est tout.

Il y a une culture cinématographique bien ancré.

Il y avait mais cette culture a disparu. Il y a par contre une cinéphilie. C’est-à-dire des personnes qui s’intéressent au cinéma. Pour avoir une nouvelle culture cinématographique, il faut construire de nouvelles salles de cinéma, sensibiliser les parents pour qu’ils amènent leurs enfants avec eux dans des vraies salles de cinéma. Leur faire découvrir la différence entre voir un film à la maison, peu importe le support, et un film en salle. C’est différent.

Construire des salles de cinéma? Qui va le faire?

L’État doit s’impliquer et trouver la bonne formule. Il y a les associations de la Société civile, les Partenaires techniques et financiers du pays, les mécènes etc.

Pourquoi vous les grandes figures du Cinéma tchadien, vous ne bougez pas?

Nous bougons. Par exemple, Mahamat Saleh Haroun et moi nous faisons de notre mieux. Présentement, nous n’avons pas de l’écoute dans la machine administrative et politique responsable de ces questions. Nous n’avons pas comme on dit des entrées. A l’époque de M. Khayar Oumar Defallah on avait de l’écoute. Il y avait eu aussi un grand espoir, qui a tourné court, avec le passage éclair de Mahamat Saleh Haroun au Ministère de la Culture. Les jeunes nous n’avons pas démérité pour les aider. Ils n’étaient pas intéressés au début parce que l’entourage immédiat leur dit que le cinéma n’est pas un métier d’avenir. Depuis quelques temps cela a changé. Les jeunes ont compris. Ils sont de plus en plus intéressés. Il y en a même un qui a commencé a émergé.

Pourquoi c’est si difficile?

Parce qu’il n’y a pas un cadre fixe. Depuis 12 ans nous nous battons pour que l’artiste ai un statut. Rien. Pas de volonté politique du Ministère. L’artiste tchadien n’est rien. Il n’est pas reconnu dans son propre pays. Il travaille comme à la sauvette. Il ne paie pas la cotisation à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS). Nous avons poussé pour que ça aboutisse. Nous avons amassé de l’argent et avons organisé une rencontre pour réfléchir et faire des propositions. C’est rester sans suite. Au Ministre de la Culture, il faut un homme de culture ou quelqu’un qui a une vision pour la Culture. Nous nous sommes battus par exemple sur la redevance audiovisuelle sur la téléphonie. Elle est 10 francs par jour donc 300 francs par mois. 300 millions étaient destinés aux artistes sur 7 milliards. Une loi à cet effet a été votée, adoptée et promulguée. Ensuite, rien. Nous n’avons jamais vu la couleur de cette somme. Où est passé cet argent? D’ailleurs, cette loi est caduque depuis 3 ans.  

Le poste vous intéresserait-il si on faisait appel à vous?

Non, je suis un homme de terrain. Je ne connais rien à l’administration publique et à la politique. Bref, je ne suis pas politique.

Vous êtes le gérant du Cinéma Le Normandie. Qu’en est-il du contentieux?

Écoutez, c’est un problème simple et compliqué en même temps. La bâtisse n’appartient pas à l’État. C’est une propriété privée qui a été vendue. Il s’est avéré que 2 personnes se réclament propriétaires. L’un semble-t-il a eu gain de cause. L’État a rénové le bâtiment à l’occasion du cinquantenaire sans être au courant du différent foncier qui existait. Figurez-vous qu’à l’époque de la réouverture, c’était la première salle de l’Afrique francophone la plus moderne. Bref, l’État n’est que locataire. Et moi le gestionnaire par l’entremise du Ministère de la Culture.

Au delà du Cinéma, comment relancer la Culture en général au Tchad?

Il faut que les autorités prennent conscience de l’importance de la culture. Elle est un plus à notre identité et un plus à notre économie. Ces derniers temps, il y a comme un déclic des autorités. Les choses changent. Il y a par exemple le Festival Dary et le Festival Sahélo-saharien, des excellentes initiatives. Il faudra les améliorer. Les ouvrir en impliquant ceux qui ont des nouvelles idées. Il faudra éviter de verrouiller ces 2 manifestations culturelles. Par exemple, il faudra penser à déplacer le Festival Dary de la Place de la Nation. Aussi, il faut le « défolkloriser » un peu. Enfin, ces deux évènements constituent les 2 piliers sur lesquels on veut relancer ou rebâtir l’industrie culturelle du pays on va dire...

Quelle réflexion vous avez envie faire pour clore cet entretien?

Le Tchad est un beau pays mais son image est mauvaise hors de nos frontières. On associe trop le Tchad à la guerre. C’est vrai que nous avons beaucoup guerroyé entre nous. Il faut changer cela par la culture et le sport. Aussi, je ne peux pas clore sans faire un clin d’œil à Ialtchad. Voilà un nom évocateur et fédérateur. C’est notre maison familiale. Merci d’être présent dans la durée aux côtés des artistes.

Bello Bakary Mana

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