Kaka tâtonne, Pahimi bricole

Mai 31, 2021

Donc le Conseil Militaire de Transition (CMT) a plus d’un mois d’existence. Il a été créé dans un moment particulier. Pour les uns, il est illégitime parce qu’issu d’un coup d’État; pour les autres, il est une chance parce qu’il est une bouée de sauvetage qui a empêché le pays de sombrer dans le chaos. Où en est le CMT et le gouvernement?

Le président de la transition Mahamat Kaka parle peu. C’est peut-être une qualité. Mais dans cette période d’incertitude, être silencieux est un handicap. Pis cela devient même un problème. Le jeune président est certainement en train de s’en rendre compte. Il faut qu’il parle. Qu’il parle de temps en temps. Qu’il parle en disant des choses sensées. Qu’il se prête à l’exercice. Il l’a fait en rencontrant les partis politiques, la société civile, etc. C’est bien, mais il ne suffit pas de parler pour parler en répétant des choses déjà dites et connues. La parole d’un président de la transition ne doit ni être rare, ni banale. Bref, lors de sa rencontre, Mahamat Kaka dit en substance aux Tchadiens que la transition fait son chemin dans le calme, la paix. Que les 18 mois seront respectés (il ne reste plus que 17 mois). Que la junte ne confisquera pas le pouvoir, etc. Et que donc tout va bien.

Non tout ne va pas bien comme veut le faire croire le président de la transition.

D’abord, la primature est restaurée dans la nouvelle structure de transition. Un Premier ministre (PM) est nommé. Il y a eu erreur sur le casting de ce PM et du choix de certains ministres de ce gouvernement. On le voit. On le sent. Ça commence à tourner en rond. À ronronner. Certains ministres ne sont pas à leur place. Un remaniement s’impose pour ajuster les choses. Il faudra d’abord commencer par la primature en remettant en marche la machine administrative qui a été détruite il y a quelques années par feu Maréchal. Pahimi Padacké Albert est bien placé pour remettre les choses en place. Il a été le dernier PM de l’ancien régime. Et le premier PM de la transition. Il peut faire plus et vite pour remettre la machine en marche et expliquer sa feuille de route. Les Tchadiens ne voient rien de clair 40 jours plus tard. On sait à peine où sont les bureaux de la primature. Ce que fait le PM. Il bricole, dit-on. L’adresse où loge la primature est presque inconnue. Le PM est peu vu, peu entendu et pas questionné par les médias sur sa feuille de route et sur les affaires courantes. On ne sait pas grand-chose de ses actions futures. Tout est touffu et approximatif.

Ensuite, il y a un élément important de la machine du nouveau système : le ministère d’État à la Réconciliation et au Dialogue national. L’idée est géniale. La personne responsable de faire fonctionner cette machine est la personne la plus apte : Acheikh Ibni Oumar. Il est « travaillant » comme disent les Canadiens français, ouvert, humble, modeste et à l’écoute. Il a su rester neutre depuis son retour au pays. Il a beaucoup de qualités. Seulement, il faudra qu’il exige à ce qu’on y mette les moyens rapidement à la disposition de son département. Il faudra aussi qu’il mette vite en place son équipe et à imposer sa méthode pour faire avancer les choses. Le président de la transition et son PM reconnaissent l’important rôle de ce ministère. Hélas, ce ministère un mois après n’a pas un bâtiment public à lui, n’a pas de personnel, n’a pas un budget spécial d’installation ou de démarrage compte tenu de la mission centrale qui lui est assigné celle d’être la matrice du dialogue qui permettra aux Tchadiens de  se réconcilier et se pardonner. Il faudra que le CMT fasse vite pour donner rapidement à ce ministère les moyens d’agir.

Aussi, l’autre organe important de la transition, le Conseil National de Transition (CNT) fait l’objet de toutes les convoitises. L’ex-parti au pouvoir le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) réclame la part du lion. Les partis de l’opposition, la société civile, les myriades des diasporas et les personnalités indépendantes, tous, se livrent une guerre sans merci pour faire partie du CNT. Chacun veut arracher une part du butin, un morceau du gâteau. S’en est rendu explosif et presque sans issu. Le CMT n’a pas le choix que de créer un Comité ad hoc confié au Vice-président de la transition. Ce Comité se chargera de sélectionner les 93 membres de cet organe législatif. Qui dit Comité, dit report ou tactique pour mieux noyer le projet. Ou encore pour mieux éliminer les candidatures. Ou encore pour rendre plus opaque le processus de sélection. À vos candidatures et périls serait-on tenté de dire. Et comme si cela ne suffisait pas, les forums, les symposiums se multiplient ces derniers jours. Tous ont en tête le futur forum de dialogue ou de réconciliation. Tous veulent se positionner. C’est légitime, mais il y a un jeu malsain qui s’y déroule. Et qui risque de favoriser les mêmes sans rien apporter de bénéfique au pays. Déjà dans le décret fixant les critères désignant des membres du CNT, y apparait une faute grave. Le décret laisse entendre, subtilement, que la maitrise d’une des langues officielles le Français ou l’Arabe n’est plus obligatoire. Place donc aux analphabètes. Qui a dit que le Tchad a changé? Le CMT et le gouvernement doivent tirer cela au clair. Ils doivent simplement retirer cette disposition du décret.

Enfin, les  jeunes du Conseil National de la Jeunesse du Tchad (CNJT) réclament leur place et affirment que le Tchad sans eux n’est pas le vrai Tchad. Les Chefs traditionnels aussi se sont concertés entre eux. Ils préparent à leur façon le futur forum sur le dialogue et la réconciliation. Mais avant cela ils réclament plus du pouvoir. Ils veulent même se substituer à l’administration publique. Ils exigent d’avoir une immunité juridique. Bref, ils ont oublié que la république des chefs de canton est morte avec le Maréchal. Mahamat Kaka et le gouvernement de transition ne doivent pas céder aux injonctions moyenâgeuses de ces chefs traditionnels. Ils resteront tout au plus des auxiliaires de l’administration. Et pour qu’un nouveau Tchad émerge, il faut faire table rase des anciennes mauvaises méthodes. Et détenir la légitimé par la voix du peuple. Vox populi, vox dei.

Bello Bakary Mana

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