Pourquoi la Justice dysfonctionne ? Quelle solution ?

Juil 02, 2021

Selon la loi portant, code de l’organisation judiciaire du 17 juin 2013, et la constitution tchadienne, la justice est rendue au nom du peuple tchadien. Défense itérative est faite à toute immixtion dans les affaires judiciaires. Dans la pratique, la réalité en est autre. Pourquoi un dysfonctionnement notoire existe dans tout le système judiciaire tchadien? Ialtchad Presse a rencontré des avocats, des magistrats et des justiciables pour en discuter. Reportage.

Les Tchadiens ont, en majorité, une mauvaise opinion du fonctionnement de l’appareil judiciaire. Djibrine Moussa Alkhalil, est un justiciable, «j’ai horreur lorsque les journalistes m’interrogent sur la question du dysfonctionnement de la Justice au Tchad.  C’est un cachot de désordre, rien de sérieux ne se fait. C’est n’importe quoi. Ils sont tous corrompus, rien de bon ne sort de là », dit-il d’un air furieux. Un autre justiciable, lui c’est Guerdjita Solalbaye, « en toute sincérité il n’y a rien de bon à la Justice. C’est la raison des riches qui domine sur les pauvres. Bien sûr on ne peut mettre tout le monde dans le même sac, mais les tomates pourries ont pourri les autres », martèle-t-il. Il se désole pour les pauvres citoyens.

Pour Me Dainonet Fréderic, Avocat au Barreau, notre justice souffre de beaucoup de maux. C’est tout à fait légitime que les citoyens s’en plaignent, dit-il. Les problèmes sont nombreux, mais la lenteur dans le traitement des affaires décourage beaucoup les justiciables. D’après lui, la corruption est une véritable gangrène. C’est l’un des facteurs du dysfonctionnement de l’appareil judiciaire, déclare Me Frédéric. Le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire est réel, confirme-t-il. «Les justiciables n’ont pas tort de dire que la justice va mal. De nos jours, plus personne n’a confiance à notre Justice», lance-t-il. Parlant de l’immixtion de l’Exécutif dans les affaires judiciaires, le technicien du droit dit que c’est anormal. D’abord, justifie-t-il,  la Constitution consacre trois ordres de pouvoirs notamment, l’exécutif, le législatif et le judiciaire.  «C’est une séparation rigide entre ces pouvoirs. En clair, l’un ne doit pas interférer dans les attributions de l’autre», dit l’avocat. Selon lui, rien n’est nouveau au Tchad, l’exécutif s’est toujours immiscé dans les décisions judiciaires. Voilà dit-il, une autre cause du dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. Il informe que des correspondances politiques sont même souvent adressées aux juges. Un fait qui vient bousculer l’indépendance des magistrats, précise Me Frédéric. « À mon avis, il faut que les magistrats commencent à être jaloux de leur indépendance. Ils ne doivent pas avoir peur et se soucier  des « affectations sanctions », des « remontrances », etc…».

«Intime conviction du juge»

S’agissant de l’intime conviction des juges dans la prise des décisions, Me Dainonet nous rafraîchit la mémoire. D’après lui, certains juges courageux ont rendu des décisions selon leur « intime conviction », d’autres ont subi l’intrusion de l’exécutif. Me Fréderic Dainonet rappelle une petite anecdote : c’est l’histoire d’un magistrat qui a rendu par conviction un jugement suite à la fameuse affaire de phacochère contre Gali Gata Ngoté à la cour d’Appel de Moundou. Pour lui, même si cette décision courageuse s’est soldée par la radiation de ce magistrat cela prouve qu’il y en a qui sont courageux.

 «Je suis jaloux de mon métier d’avocat. Je n’admets pas qu’on piétine mon indépendance, et ma profession elle est libérale», assène-t-il. Chaque avocat fonctionne selon sa conscience pourvu que cela n’enfreigne pas les règles de la société, précise-t-il. Il se dit navré en tant qu’avocat, de voir les clients se plaindre de la lenteur dans le traitement de leurs dossiers, du classement sans suite de leurs affaires, des condamnations injustes entre autres choses.  Selon M. Moussa Wade Djibrine, président du syndicat des Magistrats du Tchad (SMT),  ils ont à maintes reprises, réagi à propos du dysfonctionnement de l’appareil judiciaire. Et ce à travers plusieurs communiqués et points de presse. Les agressions physiques, les outrages, l’assassinat des magistrats et auxiliaires de la justice, l’extirpation des détenus, etc. sont des causes de dysfonctionnement dénoncés par les magistrats.

Redonner à la justice tchadienne ses lettres de noblesse

Pour un bon fonctionnement du système judiciaire, Me Frédéric recommande, le respect à l’Institution. Les individus selon lui ne doivent pas être plus forts que l’État. « Car la justice c’est le dernier rempart des citoyens contre les forfaitures», note-t-il.  Dans la dynamique de solution, l’avocat dit qu’il faut arrêter les intimidations des magistrats, faire un bon suivi de la formation du recrutement des magistrats à l’École judiciaire. Il estime qu’il faut sanctionner les corrompus et corrupteurs,  car on ne peut pas demander à la fois justice et passer par des voies illégales.  Les citoyens ne doivent pas tourner le dos à la justice et se confier à la justice du quartier (gendarmeries, commissariats, arrondissements), indique l’avocat. « Ce ne sont pas des professionnels de droit et moins encore des justiciers. C’est du gangstérisme », signifie-t-il.  Certes dit-il qu’une justice privée notamment l’arbitrage, la médiation et la conciliation sont permises au Tchad. « Cependant, ce sont des modes alternatifs de résolution des conflits peu rependus sur l’ensemble du territoire national ».

Moyalbaye Nadjasna

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