Je devais écrire une chronique sur les 63 ans d’indépendance du Tchad. J’ai vite abandonné l’idée. Au lendemain de ce 11 août je suis donc allé faire mes lectures quotidiennes des nouvelles du monde comme pour éviter celles du pays. Je n’ai pas pu m’en empêcher. Je clique. Et je tombe sur cette phrase de M. Caman Bédou Oumar dans une entrevue dense qu’il a accordée dans nos colonnes. Il parle des Tchadiens en affirmant avec conviction « qu’on n’est pas seulement bon à rien, on est mauvais en tout ».
Comme disent les jeunes N’Djamenois « grando kalamak sey » (le grand-frère a dit la vérité) à 90%. J’ai trois exemples pour illustrer comment nous sommes presque mauvais en tout.
Dossier pétrole : Vous avez vu les membres de l’équipe de choc des négociateurs du dossier pétrole décoré et élevé au Grade de Commandeur et faits officiers. Ils chantaient partout avoir gagné sur toute la ligne au sujet du dossier COTCO. La célébration de nos champions négociateurs, leur élévation et leurs médailles n’ont rimé à rien parce que le Tchad a perdu la première manche du jugement en référé. L’arbitre a donné raison à Savannah qui reste actionnaire à 41, 06 % du capital de COTCO. Les autorités se sont murées dans le silence et le déni.
Dossier référendum : Durant le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), la question de la forme de l’état avait chauffé les esprits. Étant participant représentant des médias j’avais senti la peur bleue du président du présidium la veille du débat en plénière sur la question. Il avait même convoqué un huis clos avec quelques représentants de différentes « corporations ». Lors des débats, j’avais pris la parole pour dire qu’il fallait plutôt proposer 2 constitutions, une en faveur du fédéralisme, et une autre pour l’État unitaire fortement décentralisé, mais un seul référendum. Les Tchadiens choisiront. Voilà que le mauvais génie tchadien a encore frappé. Ils ont tout fait pour que les Tchadiens votent sur la seule constitution de l’État unitaire décentralisé. Personne n’est dupe. C’est un tour de passe-passe pour faire gagner l’option de l’État unitaire. Une filouterie pure et simple inspirée par notre malfaisance.
Dossier Armée nationale: Cette institution représente parfaitement le mal faire tchadien. Plus de 600 généraux, en majorité analphabète, sur 100 000 hommes pour une population d’une dizaine de millions. Cela frise le ridicule. Même la puissante Chine avec ses plus d’un milliard d’habitants et plus de 2 millions de soldats n’a que 200 généraux comme l’a si bien dit M. Caman. Pourtant dans le dossier de « askarié » (militaire) on s’y connait. Non? Je ne suis pas sûr de cela. Une chose est certaine, on est plutôt « une bonne bande de guerriers violents et indisciplinés »
Enfin, factuellement c’est cela le pays. Seul le monde des arts, de la musique, des lettres et des médias privés qui brillent par leur ingéniosité. Bref, dans ce pays on est finalement tous des « bons en rien et mauvais en tout ».
Bello Bakary Mana
Le président de transition (PT) Mahamat Idriss Deby a été invité à Abuja au Nigeria pour se joindre à la réunion d’urgence de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) à la suite du coup d’État au Niger où le président élu Mohamed Bazoum a été destitué. Il a été désigné médiateur à la surprise de tous. Mais une petite gêne, en petit caractère est écrit au bas du contrat : « un médiateur sans mandat acté de la Cédéao ».
En apprenant la nouvelle, j’ai compris pourquoi il a été invité. Je me suis alors posé cette question : ces dirigeants ouest-africains sont-ils sérieux? Non. Ils ne le sont pas. Pourquoi?
D’abord, le Tchad n’est pas membre de la Cédéao. Il est curieux que cette responsabilité soit accordée au président de mon pays. Le fait que le Niger soit notre voisin n’est pas suffisant. Le PT devait décliner poliment cette invitation et cette responsabilité. Pis, probablement le Tchadien a accepté la mission en espérant un jour le retour de l’ascenseur où lui aussi aura besoin que cette Cédéao plaide pour lui. Erreur. Il est aujourd’hui le seul militaire qui a fait un coup d’État et qui est ami avec la politique française en Afrique. Cette même classe politique de la « si grande France » qui mène la vie dure à ses collègues militaires. La politique de deux poids, deux mesures prend tout son sens.
Ensuite, je ne vois pas comment le président de transition va faire pour que ses amis « militaires et putschistes »; un peu comme lui, accepteront-ils de l’écouter? Lui aussi est en pleine médiation. Lui aussi est doublement fautif pour avoir piétiné la Constitution de son pays. Lui aussi a violé son propre engagement en ne respectant pas le délai de transition de 18 mois. Lui aussi a pris le pouvoir par la force. Lui aussi semble se préparer à ne pas respecter l’appel de l’Union africaine (UA) lui demandant de ne pas se présenter aux prochaines élections. Il y a dans cette mission quelque chose d’incongru.
Enfin, la Cédéao ne semble pas être aidée par le discours agressif des autorités françaises. C’est pourquoi le président de transition tchadienne devrait se tenir à l’écart. Il a déjà plein sur les bras avec sa transition à lui. Il n’a aucun intérêt à jouer ce rôle complexe dans un contexte compliqué. Pourquoi un président légitime et démocratiquement élu comme le Béninois Patrice Talon ne peut pas être désigné médiateur? Surtout que son nom était sur toutes les lèvres. Pourquoi un président en fin de mandat comme le sénégalais Macky Sall ne pouvait-il pas mieux assumer ce rôle? À l’allure où les choses se déroulent, il risque gros au cas où la junte nigérienne refuse de céder. Et la Cédéao, refusant de perdre sa crédibilité, s’engage militairement à chasser la junte nigérienne. Il ne faut pas oublier que Wagner et le président russe Poutine ne sont pas loin et voleront, peut-être via le Mali ou le Burkina Faso en sous-main, au secours des putschistes. Bref, cette mission confiée au président tchadien, arrivé au pouvoir par la force, sans expérience de médiation et étranger à la Cédéao est maladroite et dangereuse.
Bello Bakary Mana
Makaila, Abel, Tahirou, Habib Ben ont organisé une conférence-débat pour disent-ils faire le bilan de la transition et examiner les perspectives. Bilan et perspective? Oui, faire le bilan et les perspectives un après-midi comme ça. Sans aucune raison sinon celle de vouloir exister dans une transition embrouillée et ennuyante.
Je taquine souvent l’un d’entre eux, mon ami Makaila, le surnommant « activiste désactivé ». Il me répond toujours, sourire au visage, « journaliste opposant ». Je lui réplique, « dit journaliste et arrête-toi ». On en rit, on se balance des blagues comme depuis toujours avec « Fofana » son autre surnom de foot en plus de son premier surnom sigle de prénom « MK ».
Depuis leur retour, nos amis n’ont cessé de cumuler des erreurs. Je reviens sur quelques-unes de ces erreurs majeures.
Première erreur. C’est d’avoir accepté de cautionner le coup d’État. Surtout avoir accepté d’accompagner la perpétuation d’un système dynastique. Ils ont cru que leurs actions virtuelles et leurs amis aussi virtuels incarnaient le réel. Le réel tchadien est plus dur. Plus acrimonieux. Plus complexe. Ils le découvrent.
Deuxième erreur. Leur retour dans le brouhaha, en trompe œil, les a fait croire qu’ils étaient incontournables pour la transition. Ils marchaient presque sur les eaux du fleuve Chari, la tête dans les nuages de N’Djamena. Ils se voyaient ministre de la République, DG oubliant au passage qu’ils ne représentaient rien, comme dirait le ministre de la Réconciliation nationale M. Abdramane Koulamallah. Le réveil est brutal. Leur « entrisme » a été précipité et mal réfléchi.
Troisième erreur. C’est de n’avoir pas pu constituer lors du Dialogue national inclusif et souverain (DNSI) un groupe d’activistes pour peser sur les débats. J’ai fait à mon ami Makaila la remarque. Lors du DNIS, ils étaient perdus, noyés dans le tas des personnes ressources. Ils étaient inaudibles.
Quatrième erreur. Ils ont refusé de continuer à être activistes au Tchad, sur le terrain. Ils devaient s’inspirer d’un garçon comme Ahmat Haroun Larry. Brouillons parfois, mais intelligent dans son activisme. Il déjoue les pièges de la tentation. Et quand, le système croit l’avoir, il démissionne. C’est ce qu’il a fait après sa nomination à la Mairie, spécialement à la Voirie. C’était un gros piège tendu pour le temps de la saison de pluie. Larry a vite compris qu’il allait se faire prendre et se noyer dans les eaux de pluie s’il y restait.
Alors que nos amis se complaisaient dans leur situation. Au début de leur retour, ils disaient partout avec fierté être les invités du président comme s’ils n’étaient pas chez eux, dans leur pays. Ils étaient ivres de leur retour. Et commençaient déjà à croire que le président de transition et son entourage avaient besoin d’eux pour la suite de la transition. Ils étaient d’accord par avance pour l’accompagner à s’agripper au pouvoir. Je n’ai jamais cru que le président de transition avait besoin d’eux. Ils réalisent aujourd’hui que leur retour n’était qu’une simple opération de communication. Rien de plus.
Bello Bakary Mana
L’esprit de la fête de Tabaski a fait ses effets sur le président de transition. Il s’est souvenu des manifestants du 20 octobre 2022. Ceux que j’appelle les « sacrifiés en exil » de la seconde phase de la transition, ou « les insurgés armés » comme dirait le Premier ministre de transition Saleh Kebzabo.
Ils sont pardonnés. Oui pardonnés. Vous êtes surpris? Pas moi.
Je me rappelle une discussion avec un compatriote qui approuvait cette répression. Parce que, argumentait-il, « ces manifestants sont tous manipulés par le président du parti Les Transformateurs Succès Masra, ils sont tous originaires du sud, ils sont tous des drogués, ils sont tous des antis de ceci, des antis de cela, des haineux, des détestables, etc. ».
J’ai eu de la peine à lui faire comprendre que manifester pacifiquement est un droit. Et même s’il détestait ces manifestants ou les partisans des transformateurs, il se doit de dénoncer cette répression aveugle, inacceptable, exécutée par des Tchadiens sur d’autres Tchadiens. Et qu’il faudra faire attention à ne pas faire du « Kebzabo ». C’est-à-dire vouloir être plus dur que les durs partisans du président de transition.
Surtout que demain, les mêmes qui ont qualifié cette manifestation « d’insurrection armée », ne pourront invoquer le droit de manifester. Ils s’exposent, en soutenant une telle répression, d’être à l’avenir victimes de la même méthode. Les Tchadiens ont un adage pour bien résumer cela, « la lame qui a rasé Issa, rasera Moussa ».
J’ai fini en disant à mon contradicteur, « si j’étais le conseiller du président de transition, je lui aurais conseillé de choisir Succès Masra comme Premier ministre. Parce que, objectivement, c’est son meilleur allié et adversaire. Cela le débarrassera de cette vieille classe politique de l’opposition. Et surtout marquera la rupture, la montée d’une nouvelle génération, même si cela risque d’être symbolique. Les symboles comptent en politique ». Mon ami est resté insensible à mes arguments.
J’avoue que le Tchad est le paradis des apprentis politiques. La répression du 20 octobre a fait des dizaines de morts, un millier de jeunes incarcérés, des centaines d’exilés, un parti politique décimé, son chef chassé du pays, des procès bidons, une justice aux ordres tout cela est passé comme lettre à la poste à part le rapport du président de la Commission Nationale des droits de l’Homme (CNDH) Mahamat Nour Ibédou qui a dit la vérité. Depuis lors, on lui mène la vie dure.
Ce qui choque dans ce pardon, c’est le fait que le président, de surcroît d’une transition, se réveille le matin d’une fête et dit avoir pardonné ceux qui ont offensé sa présidence pour avoir manifesté après les avoir massacrés, embastillés, forcés à l’exil, etc. Lui le maître du ciel et de la terre tchadienne pardonne à qui il veut sans rendre de comptes à personne.
Je me suis alors rappelé la fougueuse sortie du président de transition clamant qu’il ne baissera jamais la tête devant un autre président d’un autre pays.
Mais selon plusieurs sources, son dernier voyage en France lors du sommet pour un nouveau Pacte Financier Mondial, le tête-à-tête, la veille du sommet entre le président français et tchadien, cachait autre chose. L’Élysée a d’abord remonté les bretelles du président de transition au sujet de l’arrestation des militaires français à la frontière soudanaise. Ensuite, il a exhorté le Tchadien à se ranger sur la position du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) demandant qu’aucun acteur de la transition ne se présente aux futures échéances électorales. De plus, il a fortement été recommandé au Tchadien une ouverture politique sincère à la principale opposition armée le Front pour l’Alternance et la concorde au Tchad (Fact), le retour du chef des Transformateurs et de ses militants exilés au pays et un apaisement des tensions sociales.
Voilà les raisons cachées de ce pardon le jour de la Tabaski. Un pardon sur commande. Menton levé « Jupiter Macron » a ordonné. Tête baissée « Mahamat Kaka » a exécuté. Reste à savoir s’il s’abstiendra de se présenter aux futures élections. Là, c’est une autre histoire.
Bello Bakary Mana
Plus le temps passe, plus il est difficile de faire semblant. Les non-croyants disent que le temps est le seul maître des enjeux. Il est Dieu. Les croyants disent que seul Dieu est maître et du temps et des enjeux. La transition de 24 mois est prise entre ces deux thèses. Le pays traverse des moments de vérités. Premier problème : il n’y a qu’une Vérité. Il faudra s’y faire et y faire face. Deuxième problème : il y a toujours en chacun de nous deux personnalités dans une même personne. Vous comprendrez plus loin pourquoi je dis cela.
Le groupe de sages de l’Union Africaine (UA) a demandé aux responsables de la transition de respecter deux points.
Un, pas de prorogation des 24 mois de la transition. Pas question de ne rajouter un jour ni retrancher une nuit.
Deux, tous les membres de la transition ne doivent pas participer aux prochaines échéances électorales.
Depuis cette sortie des sages, il y a un « silence officiel gêné » au sommet de l’État. Quelques « petits seconds couteaux » ont décidé de donner la réplique aux sages en affirmant, « le pays est souverain ». « C’est le Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) qui a décidé que tout Tchadien (ne) peut se présenter à condition qu’il remplisse les conditions ». « Et qu’après tout c’est au peuple souverain du Tchad d’en décider, pas à l’UA ».
Je crois avoir trouvé le pourquoi de ce silence. Je m’explique….
Vous vous souvenez de la sortie du président à Gozbeïda, dans le Wadi Fira, disant ne pas être le gouverneur de l’ambassadeur allemand Jan-Christian Gordon Kricke, expulsé du pays quelques jours avant, qui lui avait, dit-il, demandé de ne pas nommer Saleh Kebzabo au poste de Premier ministre.
Voici in extenso la déclaration du président de transition traduit de l’Arabe locale. « Aucun président du Tchad, de Tombalbaye au Maréchal Idriss Deby Itno (paix à son âme), n’a jamais baissé la tête. Et jusqu’à ce que les Tchadiens choisissent leur président. Moi non plus je ne baisserai pas la tête devant aucune personne ni devant aucun État ».
Les trois mots « choisissent leur président » m’ont intrigué. C’est passé presque inaperçu, mais nous journalistes sont là aussi pour disséquer les mots, les gestes et les expressions présidentiels.
D’abord, est-ce un aveu de non-candidature? Hum…c’est trop mince pour le dire, mais ce n’est pas rien.
Ensuite, comment interpréter ces mots? La première idée qui m’est venue à l’esprit c’est l’expression de l’écrivain malien Ahmadou Hampâté Bah qui disait, « dans la personnalité de la personne, il y a plusieurs personnalités ».
Le président de transition (PT) n’échappe pas à cette sagesse de Hampâté. Et lorsqu’on est en politique active, on est obligé de faire cohabiter ces personnalités qui se tiraillent en permanence.
Cela pour vous dire que cette sortie et l’expression « choisissent leur président » est l’exemple parfait que le « Mahamat Kaka », le gentil petit fils de grand-maman qui sommeil dans la moitié d’âme du PT veut organiser des élections libres, transparentes et céder le pouvoir dans l’intérêt du pays.
Mais le rageux, l’agressif « Mahamat Idriss Deby Itno » tapi dans l’autre moitié du PT veut organiser des élections pour son propre compte. Et bien évidemment les gagner et s’éterniser au pouvoir dans l’intérêt des amis politiques et de la famille. Pour atteindre cet objectif, il est prêt à renvoyer les diplomates, défier l’UA, etc. Après tout le pouvoir, il l’a hérité du père Maréchal. Et au nom du clan et de la famille, il faut le conserver. Il faut pour cela faire le « dos rond » et laisser passer la « fâcherie » de l’UA. Et qui va certainement s’estomper avec le temps.
Ah! le temps, encore lui. C’est, semble-t-il, la moitié du nom de Dieu. Et le silence l’autre moitié. Allahou Akhbar (Dieu est grand), dirait Mahamat Idriss Deby. Allah hou sami-itt (Dieu est silence), dirait « Mahamat Kaka ». Et ses amis politiques acquiesceront InchAllah.
Bello Bakary Mana
Vous l’avez certainement vu comme moi. Le président de transition Mahamat Idriss Deby est en tournée dans le septentrion. Il a décidé de sillonner 8 provinces, dit-on. Il a aussi, semble-t-il, baptisé cette tournée, « Tournée de la paix ». Mais le moment choisi est mauvais. Très mauvais, je n’exagère pas.
Il est mauvais à cause du contexte. Il y a une crise sociale aiguë : pas suffisamment d’énergie, coupures intempestives d’électricité, pas de gaz domestique, pas de…, pas de …
Et voilà que le président de transition est en balade, il donne l’impression que sa priorité est ailleurs. Il semble en campagne, il serre des mains, il se fait applaudir, il est entouré par le gratin politique de l’ex-parti au pouvoir, le mouvement patriotique du salut (MPS). Tiens le MPS est-il au pouvoir? C’est comme si. C’est confondant non. Et pourtant ça ne devrait pas l’être. Mais c’est vrai, le MPS est toujours au pouvoir. Comment pouvoir séparer le président de transition Mahamat Idriss Deby Itno de ce parti?
Il est même encore plus difficile de distinguer le défunt père Idriss, du fils Mahamat. Il fait tout comme son père. Regardez les images, les faits et gestes, la manière, la méthode durant cette tournée. En regardant quelques images, j’ai cru que Deby père est toujours vivant. Oui il est encore vivant parce que Deby fils n’a rien changé. Il a tout mimé à la perfection, même les courtisans provinciaux et les démarcheurs urbains sont les mêmes.
Pire, Mahamat Idriss Deby a même oublié qu’il est président de transition avec pour principale mission d’assurer la bonne marche du cahier de charge du Dialogue nationale et d’assurer la sécurité et les besoins primaires des Tchadiens. Il n’a pas fait grand-chose pour ne pas dire, il n’a rien fait.
Tout semble bloqué. Rien ne marche. Exemple dans la province du Logone orientale les tueries entre agriculteurs et éleveurs continuent comme dans une série de cinéma. La crise sociale aussi continue comme dans un vieux film en noir et blanc. Un jour c’est l’essence qui est rare, un autre jour c’est le gasoil qui est introuvable. Un cacique de la transition me dit « le pire est devant nous, Bello ». J’étais assommé.
Je ne peux clore cette chronique sans parler de l’accusation d’harcèlement sexuel portée par la victime Hèlene Doumro, fille du premier général, le général Doumro, ou un des premiers généraux tchadiens, contre le Premier ministre de transition (PMT) Saleh Kebzabo (SK). Vous voulez mon avis?
Difficile de croire à cette histoire qui ressemble à une cabale contre le « galadima » Kebzabo. J’ai souvent critiqué les actions du Premier ministre, je connais le politique. J’ai tenté de trouver des preuves, je n’ai lu que des papiers torchons écrits par de « prétendus journalistes ». Dans le métier on les appelle souvent des « tueurs à gages », on peut ne pas aimer le politique SK. On peut détester l’homme Saleh, on peut même haïr le « galadima » Kebzabo. Cependant, il faut plus que des allégations pour de semblables charges.
À travers cette accusation, il y a une guerre souterraine menée sous les masques par une certaine élite du Méridional profond contre le « galadima » du Mayo Kebbi Ouest, Kebzabo. Plus encore, cette opposition illustre bien la rivalité historique contre ces « moyo kebbiens », qui ne méritent pas de diriger encore la transition. Eux qui depuis quelques décennies se sont enracinés à la primature. Les évènements du 20 octobre 2022 ont conforté la rivalité. Seule solution à cette affaire : la justice, dans la transparence, doit passer. Si le « galadima » est coupable qu’on lui coupe la tête. Si la plaignante a menti qu’on lui arrache la langue.
Bello Bakary Mana
C’était déjà la galère mais elle s’est abattue avec plus de force sur les Tchadiens ces derniers jours. Une galère aux odeurs de fuel. Ils sont patients les Tchadiens, mais cette fois-ci ils sont au bout du rouleau, au bout de la galère.
J’ai écouté le ministre du Pétrole et de l’Énergie Djerassem Le Bemadjiel au journal de 20h. Il ne m’a pas paru à la hauteur de la crise. Il était sans argument, pas convaincant. Il était dans son monde à lui, a expliqué sa réalité à lui. Je l’ai entendu. J’ai senti, à sa réaction, « laisser-moi finir » s’adressant à la journaliste, qu’il ne disait pas la vérité aux Tchadiens. Cette entrevue ratée, révèle deux choses : incompétence et impunité.
J’ai lu l’intervention de M. Abdoulaye Sabre, ex-ministre de Deby père et ex-directeur de cabinet de Deby fils. Sa réaction est mordante, juste et percutante. Il a vu juste le Sabre. Il a sabré au bon endroit, au bon moment. Il a raison que dans un pays normal, des têtes devraient tomber. Le chef devrait agir. Mais le Tchad n’est pas un pays normal. Seulement voilà, sa sortie donne l’impression de « donneur de leçon ». À chacune de ses sorties M. Sabre, sème une graine, marque son chemin. Cette fois-ci il a marqué une distance avec celui qu’il appelle, petit frère, mais qui se trouve être président. Sabre aussi doit être claire. Il ne peut pas ménager à la fois son petit frère et être avec le « peuple » dans cette crise sociale. S’il était aux affaires, il ne se serait pas permis cette liberté. C’est pourquoi ceux de ses ex-amis qu’il qualifie de « les esprits pauvres » verront, dans cette correspondance, une tentative de retour. Il a donné un dernier coup de sabre très fort en affirmant, « on s’est fait avoir au Dialogue national inclusif et souverain… ». Il emploi le « on » et non le « je ». Pour lui, le DNIS était une supercherie. Je crois le divorce politique est consommé entre le grand-frère et le petit-frère.
J’ai vu le Premier ministre Saleh Kebzabo partir dans une lointaine contrée participer à une cérémonie privée de Rotary Club en usant des biens de l’État. Lui Kebzabo qui a passé son temps à dénoncer cette mauvaise habitude s’est abonné à cette pratique. Partir à ses frais pour ses affaires privées n’aurait dérangé personne. Mais partir sur le dos de la princesse Tchad est maladroit, malvenu et dénote l’insensibilité du Premier ministre. Surtout en cette période de galère énergétique lui, le premier répondant, se permet de brûler du kérosène pour aller faire du « kongossa » entre amis. Il répond aussi aux abonnés absents alors qu’il devait être « aux stations-services et à la raffinerie » faire face à cette crise.
Entre temps, les Tchadiens galèrent. Ils souffrent le martyr. Ils errent de station-service en station-service à la recherche du précieux liquide ou de la précieuse « air ». Certains avec leurs bouteilles de gaz attaché à la moto qui elle-même a besoin du carburant, d’autres dans leurs voitures filent à grande vitesse à travers la ville, le regard sur la jauge d’essence ou de gasoil pour ensuite faire la file sous le soleil mordant, dans une tension à fleur de peau. Pis, on leur fait les poches, de 700 francs le gasoil est disponible à 1000 sous le manteau, l’essence aussi a doublé de prix. Pays sans chapeau dirait l’écrivain haïtien Danny Laferrière. Pays de hommes et de femmes résilients. Pays au bout de la galère. Pays des autorités publiques insensibles.
Bello Bakary Mana
J’ai levé un peu les pieds sur mes chroniques hebdomadaires, happé par d’autres choses de la vie. Je suis de retour. Et l’actualité, comme journaliste, m’offre une panoplie de sujets, j’ai l’embarras de choix. J’ai choisi le volet de l’intrigante affaire Savannah.
Première phase. Le Tchad décide de nationaliser les actifs de Savannah Energy. Une décision qui est tombée comme un cheveu dans la soupe alors que, « la nébuleuse Savannah », selon l’expression du ministre d’État, secrétaire général de la présidence (SGP) Gali Gata N’gothé, a acquis la part de Esso Exxoon Mobil depuis plus d’1 an.
Je me suis alors interrogé sur le silence du gouvernement depuis tout ce temps. Pourquoi avoir été silencieux si longtemps? Qu’est ce qui a mal tourné? Pourquoi ce décret précipité de nationalisation ? Les autorités ne devraient-elles pas, dans un premier temps, expliquer publiquement dans une conférence de presse ce qui se passe? Et ensuite, dans un deuxième temps, lancer le débat au Conseil national de transition (CNT), donner les détails aux médias et laisser les citoyens s’emparer du sujet. Non. Elles ont fait le contraire: décret d’abord et par la suite les conseillers ont craché leurs venins sur Esso et Savannah sans avoir les détails.
Deuxième phase. Le SGP intervient en direct au journal de 20h. Il fustige le Cameroun, mais n’explique pas les zones d’ombres. En fait, selon mes investigations, le Cameroun dans le projet pipeline a droit à 5% sur le droit de passage. Pas plus. Ces 5% ont été une manne financière pour nos voisins. Ils en sont trop contents. Et tant mieux pour eux. Ils en ont tellement profité que désormais par un micmac orchestré par Savannah, le Cameroun a racheté 10% des parts de Savannah dans l’exploitation du pétrole. En français facile cela veut dire que le Cameroun par le truchement de Savannah, a 10% de notre pétrole. Chose inconcevable, inacceptable pour le Tchad.
Cette attitude prédatrice peut s’expliquer par la légèreté historique des autorités tchadiennes. Pour la petite histoire, après la mort du premier président tchadien, N’garta Tombalbaye, les autorités ne se sont jamais intéressées aux intérêts tchadiens au Cameroun mise à part le fret.
J’ai des exemples en guise d’anecdote pour vous sur les manœuvres prédatrices et historiques de l’État du Cameroun sur notre pays.
Un jour, j’ai rendu visite à un oncle, grand commis de l’État tchadien, plusieurs fois ministres. A chaque fois que j’échange avec lui c’est un régal. Dans la discussion, il me révèle 3 exemples où des intérêts tchadiens dont été détournés par le Cameroun alors que les Tchadiens étaient occupés à se faire la guerre.
Premier exemple, le Tchad a des intérêts dans la cimenterie du Cameroun, la fameuse Cimencam. Intrigué, je lui demande de m’expliquer. Il m’explique avec un calme Peul qui lui sied, en soutenant que le défunt président avait pris des parts dans la Cimencam afin que le ciment coûte moins cher aux Tchadiens. Et c’est avec ce ciment que l’ancien bâtiment du ministère des Affaires Étrangères ou BPN a été construit, l’hôpital Central ou de référence de N’Djamena a été bâti, si je ne m’abuse. Et depuis l’éclatement de la guerre civile au Tchad, le Cameroun a fait main basse sur ces parts. Stupéfait je lui demande.
Moi : Il n’y a pas des documents?
Lui : Avec la guerre, on les a perdu
Moi : Les Camerounais doivent avoir des copies, il faudra le leur demander. Non?
Lui : Oui mais quels intérêts ils auront en nous les remettant, c’est tant pis pour nous.
Deuxième exemple, le barrage de Lagdo, un lac artificiel d’une superficie de 586 kilomètres carrés, dans la région de la Benoué au nord Cameroun. Il a été construit pendant que le Tchad était en guerre, en drainant les eaux du fleuve Logone sans l’accord du Tchad. Aujourd’hui, le Cameroun s’en enorgueillit d’avoir un lac poissonneux. Oui, mais sur le dos des intérêts en affaiblissant le Logone.
Troisième exemple, la décortiqueuse de Bongor, non loin de la rive camerounaise de la ville de Yagoua, les pièces ont été volées morceau par morceau et vendues aux dirigeants de la Société d’Expansion et de la Modernisation de la Riziculture de Yagoua (Semry), qui avait le même modèle de décortiqueuse. C’était aussi pendant les guerres fratricides tchadiennes que le Cameroun a profité pour voler le Tchad.
Je l’ai religieusement écouté avant de lui poser la question sur le silence des autorités tchadiennes sur ces méfaits, il me regarde froidement et dit, « l’État s’est peu à peu affaissé au Tchad, les responsables sont obsédés par d’autres choses. Les vieux dossiers ne les intéressent pas. À l’époque, le défunt Hissène Habré s’était intéressé à ces questions, mais il n’a pas eu le temps ».
Moi : Et le Maréchal Deby Itno savait?
Lui : Oui, je pense, sous toutes réserves.
Moi : Pourquoi n’a-t-il pas agi?
Lui : Ah! Je ne sais pas…mais fort probablement il aurait estimé que cela ne valait pas la peine, soit que le moment viendra ou même mais que lui ne le fera. J’interprète, lâche-t-il…Bref, ou alors il avait peut-être d’autres combats à mener.
J’étais abasourdi…
Je vous raconte toutes ces anecdotes pour vous dire que les autorités de la transition ont raison de refuser l’entrée du Cameroun dans la production pétrolière. Le pétrole est Tchadien, s’il y a 10% des parts de Savannah à vendre, c’est au Tchad, en premier, que la proposition devrait faite, non pas au Cameroun. La seule explication plausible ce que le Cameroun tente de faire main basse, par ce subterfuge, des 10% du pétrole tchadien. Il a pris goût à sa vieille methode qui lui a jusqu’à là bien réussie. Il faudra une bonne dispute pour être des bons voisins, dit-on. Le Tchad est peut-être enclavé, mais ce n’est pas une raison pour nous « faire nos puits comme si les Tchadiens sont des M’boutoukou (cons) ».
Bello Bakary Mana
La 4e édition du Festival Dary lancée depuis le 24 décembre 2022 sur le slogan « Notre pays, nos merveilles » tire à sa fin. Que retenir, en bon et en mauvais, de ce grand évènement culturel ?
Ce festival est bien un moment exceptionnel. Un moment qui, peu à peu, s’est installé dans l’esprit du public. Un moment où les Tchadiens oublient leurs éternelles querelles, se retrouvent, chantent, dansent, mangent, boivent un peu pour « faire la fête », pour se déconstiper, se dégourdir. Bref pour fraterniser encore plus.
Rien n’a été facile pour les organisateurs. Beaucoup a été fait, mais beaucoup trop reste à faire. Il ne faudrait pas se contenter de ce résultat, il faut encore faire plus, faire mieux pour que Dary progresse mieux et se professionnalise plus. Il faut aussi que Dary mette à l’avant les artistes tchadiens sans fermer la porte aux artistes étrangers. « La culture c’est ce qui reste lorsqu’on tout perdu », selon une expression bien connue, au Tchad cette assertion a tout son sens. La culture, c’est ce qu’il y a de plus rentable et de plus rassembleur.
L’objectif de valoriser la culture tchadienne et de sensibiliser les citoyens sur le vivre-ensemble s'est un peu détourné de son objectif principal malgré des belles prestations des différentes danses traditionnelles, des expositions des produits locaux et des concerts géants qui sont les symboles de l'unité.
Pour récapituler, à 24h de coup d'envoi, les réseaux sociaux tchadiens s’étaient mutinés contre les parapluies multicolores aux couleurs arc-en-ciel qu'ils ont qualifiées de signes LGBT (homosexuel). Et le raccourci a vite été fait sur les organisateurs commandés par un réseau LGBT tapis dans l’ombre. Œuvre satanique selon les détracteurs du festival. Alors que cette couleur représente en réalité la diversité, l’harmonie et la paix, pas forcément la communauté LGBT. Ce groupe n’a fait que récupérer ces couleurs pour en faire son symbole. Bref, le comité d'organisation a bien fait de retirer les parapluies. C’était une polémique futile qui allait entacher le festival pour rien, surtout que plusieurs extrémistes religieux ont trouvé l’occasion de discréditer l’évènement.
Le jour du lancement le 24 décembre dernier, le président de Transition accompagné de sa délégation sont venus assistés à la cérémonie, durant le défilé devant le président, il y a « remplacement numérique instantané » des habitants urbains de certaines provinces ont mis d'autres habitants ruraux à la touche pour représenter leur région.
L’aspect culturel et plaisant de l’évènement a été assombri par une division latente accompagnée de repli identitaire au sein de certaines communautés. Il y a eu le malentendu entre les ressortissants de la province du Ouaddaï qui se sont retirés du festival pour revenir après. Aussi il y a eu quelques « têtes brûlées », chantres de la haine qui ont formé un cercle en scandant « birti barr râ » à travers les réseaux sociaux qui a choqué le public et à froissé d’autres communautés. Il y a eu également bagarre entre deux femmes en pleine prestation de leur province, de la discrimination communautaire, le retrait de la province de Mayo-Kebbi Ouest.
L'aspect pervers de l’évènement a été l’incivisme du public, mais aussi les harcèlements et les attouchements des filles durant ce festival, les querelles entre les jeunes au milieu de la foule, etc.
L’aspect affaire du festival a laissé plusieurs commerçants amers par rapport aux coûts des stands entre 150 000 à 300 000 sans véritable retour sur investissements, les vendeurs de crèmes glacées, de café, paient 100 000 pour le pousse-pousse. Des vendeurs, venus de loin attirés par les retombés économiques de Dary disent avoir perdus beaucoup d’argent contrairement aux propriétaires de parkings qui sont contents de leurs investissements.
L'élection Miss Dary a suscité des réactions, deux provinces ont refusé de présenter leurs candidates. Ils ont traité cette élection d'impudique. Ils estiment qu’une femme ne peut défiler devant un homme, selon le coran. La candidate de la province du Moyen Chari a remporté l'élection Miss, une polémique a suivi sur les réseaux sociaux.
L’aspect sécurité a été bien géré malgré leur brutalité, les forces de l’ordre ont fait un bon travail. À chaque 5 mètres, il y a un agent de sécurité qui veille. Plus de 100 faux badges ont été confisqués à la rentrée.
L’aspect hygiénique du festival a été catastrophique. Par exemple, l'insalubrité avec des toilettes nauséabondes est à améliorer.
Dans cette grande messe culturelle, il y a plusieurs manquements. Notamment l'absence remarquée des écrivains, des poètes et des conteurs. Les organisateurs doivent pour les prochaines éditions intégrer les femmes et les hommes des lettres. La littérature est un aspect majeur de la culture. Dary ne doit pas être réservé uniquement aux danses folkloriques et aux concerts géants.
Enfin, l'aspect le plus important est les concerts géants. Des grands artistes locaux sont écartés. Le comité d'organisation se défend et affirme qu’une liste a été ouverte pour que les artistes viennent s'inscrire accompagnés de leurs managers. Mais le Comité n'a pas contacté des artistes à dimension internationale comme Célestin Maoundoé, Bâton Magique, etc. pour donner une tribune à des artistes internationaux notamment Naza et Youssoupha plus deux autres artistes soudanaises. Il n’est pas question de fermer la porte à ces artistes, mais il est question de donner le leadership et le devant de la scène aux artistes tchadiens. Malgré les manquements, festival Dary s’est définitivement installé. Et c’est une excellente nouvelle.
Noël Adoum
Je croyais qu’après le dialogue, après la formation du gouvernement d’union nationale, le Tchad ne deviendrait certes pas un paradis, mais il se rapprochera un peu de la paix, un peu de l’accalmie, un peu de l’écoute entre Tchadiens. Et surtout il y aura beaucoup de tolérance. Beaucoup d’amour malgré les divergences. Rien de tout cela n’a eu lieu.
Il n’y a eu que de la violence. Que de la casse. Que des invectives. Que du « ce n’est pas ma faute », « c’est la faute de l’autre ». « C’est une insurrection », « ils étaient armés », etc. Que du négatif pour justifier l’interdiction d’un droit inaliénable : le droit de manifester.
Ce jour de jeudi triste et sanglant, une partie des Tchadiens n’est pas d’accord avec le résultat du dialogue et de la seconde phase de la transition. Ils sont frustrés. Ils s’organisent et décident de l’exprimer en manifestant. Rien de mal à cela. Il fallait autoriser cette manifestation. L’encadrer pour éviter ce jeudi sanglant où des Tchadiens ont tiré sur d’autres Tchadiens. Où des Tchadiens ont cassé les biens d’autres Tchadiens.
Ce jeudi triste des vies sont fauchées. Le bilan est lourd. Certains s’amusaient à parler d’une cinquantaine de morts et d’une centaine de blessés. D’autres répliquaient en soutenant que c’est plutôt une centaine de morts et plus de 300 blessés par balles. Tous avançaient des chiffres pour faire peur le camp d’en face. Alors que tous sont perdants. Tout est tristesse, mais ils s’obstinaient à faire de la politique alors que les corps des victimes sont encore chauds. Jeudi triste. Jeudi sanglant. Statistique macabre. Avenir funeste? En tout cas, il ne s’annonce pas joyeux. La refondation, semble-t-il, a commencé. Refonder quoi? Pour qui? Alors qu’oser manifester peut entraîner la mort.
Ce jeudi sanglant j’ai compris que les Tchadiens n’ont pas des dirigeants. Ils n’ont pas des grands hommes et femmes politiques. Ils n’ont que des « ambitieux obsédés par le pouvoir pour le pouvoir ». Sinon pourquoi interdire aux Tchadiens mécontents de marcher? Pourquoi tirer sur eux? Et aller aux chevets des lits des blessés? Il fallait juste les laisser manifester. C’est plus commode. Moins cynique.
Ce jeudi triste j’ai écouté le nouveau Premier ministre lors de sa conférence de presse. Dans ces propos ne transparaissaient que des mots durs : « coup d’État », « insurrection », etc. Un pathétique sketch de gros bras. Aucune compassion dans ces premiers mots aux victimes. Comme si la centaine de morts méritent la mort. Il avait le couteau entre les dents, Kebzabo. Il avait le menton levé, la voix perchée, ce n’est pas l’homme que je connais. Ce n’est pas le Kebzabo retenu, à l’écoute, prudent et tempéré. Il était en feu. Ce qui n’aide pas à l’apaisement. Le couvre-feu, l’État d’urgence me semble des décisions hâtives et injustes. La majorité des Tchadiens ont supporté des années de privations. Ils ont soif de s’exprimer comme les autres peuples. Ils ont une insatiable envie de manifester sur des choix qu’ils considèrent injustes pour leur avenir. Ils veulent être libre et dans un pays où la démocratie les protège. Il faut le concéder, ils sont épris de justice et d’égalité comme les autres peuples.
Ce jeudi a été sanglant. Ce jeudi a été triste. Il ne sert à rien d’employer la méthode dure. Il ne sert à rien de réprimer. Il ne sert à rien de suspendre des organisations politiques et de la société civile M. le président de transition, M. le Premier ministre de transition. C’est un recul pour le pays. On ne gouverne plus par le sang. C’est révolu. Rien ne justifie de massacrer les tchadiens. Il faut plutôt être à l’écoute des mécontents, peut-être que vous comprendrez pourquoi vous ne les écoutez pas. Cela évitera le sang versé. Et éloignera la tristesse des cœurs des Tchadiens. Vous leur devez au moins cela.
À toutes les familles endeuillées, nos attristées condoléances.
Bello Bakary Mana