Rencontre avec Massalbaye Tenebaye

Oct 12, 2004

« Vous savez que depuis quarante ans, nous avions privilégié la prise du pouvoir par les armes. Nous nous sommes rendu compte que rien n’a été réglé. On n’a fait que repousser les problèmes à d’autres moments donnés et finalement on retombe sur les mêmes problèmes... » Massalbaye Tenebaye

Professeur de Lettres et militant des droits de l’Homme, Massalbaye Tenebaye a été Secrétaire général de la Ligue Tchadienne des droits de l’Homme pendant dix ans. Actuellement il est président de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme et vice-président de l’Union Inter-Africaine des Droits de l’Homme (UIDH). Il est membre du Comité de Suivi de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation. A l’occasion de la tenue de la conférence de presse en duo avec Delphine Djiraïbé à Paris, il ne s’est pas dérobé aux questions que Ialtchad Presse lui a posées.

Ialtchad Presse : Massalbaye Tenebaye Bonjour. Pourquoi une Conférence de presse à Paris ?
Massalbaye Tenebaye : Notre présence à Paris participe d’une dynamique d’information et de plaidoyer pour amener davantage d’adhésions à notre projet d’organiser un dialogue national qui regrouperait tous les Partis. Ce travail se fera à l’intérieur du pays. Nous avons installé des comités locaux dans les principales villes du pays. Nous avons organisé deux «Foras» thématiques qui sont des forums des femmes pour exprimer toute la problématique de la question de la femme dans le cadre du développement de la paix ; l’organisation d’un forum des jeunes. Tous ces forums ont été organisés en janvier à N’Djamena. Début février, il y a eu également l’organisation de deux «Foras» régionaux : le premier à Abéché et le second à Moundou où les différentes sensibilités se sont retrouvées pour réfléchir sur les conditions de préservation d’une paix réelle. Cette dynamique que nous avons lancée est une dynamique populaire qui œuvre en faveur de la Paix à l’intérieur et à l’extérieur du Pays. En France, ici, nous sommes venus pour organiser une campagne d’information pour demander aux forces en présence, aux responsables politiques français, aux responsables politiques des autres pays également et la société civile en France de soutenir notre action en faveur de la Paix au Tchad.

Ialtchad Presse : Pensez-vous que l’opposition armée soit franchement favorable pour s’asseoir autour d’une table de négociation avec Idriss Deby sachant que celui-ci est affaibli sur tous les plans d’une part et que, d’autre part, ses principaux généraux viennent de le quitter ?
Massalbaye Tenebaye : C’est ce qui nous des raisons de croire qu’il faut agir vite, agir maintenant. Il est clair que nous ne sommes pas sur le terrain pour pouvoir évaluer la puissance de feu des foyers des rebellions, des structures politico-militaires. Cependant ces forces constituent un atout non négligeable sans lequel la paix ne pourra se réaliser.

Ialtchad Presse : Avez-vous contacté les politico-armés pour leur faire vos propositions qui s’inscrivent dans une logique d’instaurer une paix durable au Tchad ?
Massalbaye Tenebaye : Je note que depuis un certain temps, à travers le discours que tiennent les principaux responsables des rebellions armées, c’est qu’il faut aller à un dialogue, il faut aller à un forum, il faut aller à une sortie de crise. Cela adhère à notre projet d’organisation, avec tout le monde, d’un cadre de dialogue national pour une paix globale, pour ce processus national de résolution de crise. Et c’est en cela que nous estimons qu’il faut, au-delà n’est-ce pas des prises de positions radicales, qu’il s’agisse côté rébellion ou côté Idriss Deby, éviter que les populations tchadiennes retombent une fois encore dans l’horreur et dans l’enfer. Vous savez que depuis quarante ans, nous avions privilégié la prise du pouvoir par les armes. Nous nous sommes rendu compte que rien n’a été réglé. On n’a fait que repousser les problèmes à d’autres moments donnés et finalement on retombe sur les mêmes problèmes.

Le problème tient à deux choses : La gouvernance politique et la gouvernance économique. Il faut un partage juste et équitable de toutes les ressources. Il faut donc un espace de liberté. Liberté d’expression ; Liberté politique ; Liberté d’énergie donc créer les conditions de développement y compris la question de l’armée. Ce sont là les problèmes de fond. Tant qu’on ne règle pas ces problèmes de fond, on ne peut pas parler de démocratie, on ne peut pas parler de développement. On peut prendre le pouvoir par les armes aujourd’hui mais si on ne cherche pas à résoudre ces problèmes, on va se faire renverser encore par d’autres puissances. Et nous voulons mettre un terme à cela.

Ialtchad Presse : Avec ou sans Idriss Deby ?
Massalbaye Tenebaye : Les Tchadiens décideront. Il faut donner la possibilité aux Tchadiens de choisir le président de la République qu’ils souhaiteraient voir à la tête du pays, l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.

Ialtchad Presse : Comment donner cette possibilité aux Tchadiens ?
Massalbaye Tenebaye : Par le dialogue ; Par les discussions ; Par la résolution pacifique de ces conflits. Nous ne voyons pas d’autres alternatives.

Ialtchad Presse : Je vous remercie Massalbaye Tenebaye.
Massalbaye Tenebaye : Merci.

Ialtchad Presse : Seize ans durant, le dialogue n’a pas cessé d’être amorcé dans ce pays. Mais il n’a jamais porté ses fruits. Pensez-vous que les Tchadiens vont désormais croire au dialogue de chimère ?
Massalbaye Tenebaye : Ce n’étaient pas de véritables dialogues. Qu’il s’agisse de la CNS, rappelez-vous, qui a été biaisée complètement. La CNS a été imposée par la pression des forces sociales et de l’opinion internationale. Le régime a été obligé d’organiser la Conférence Nationale Souveraine. Vous voyez bien que ça a été biaisé même si cela a dessiné le cadre du processus démocratique, de libéralisation de la vie publique. On a installé des institutions républicaines : Assemblée nationale ; Justice ; On a organisé les élections bref, toutes ces institutions ont été déviées de leurs missions, sont confisquées par le régime. On a vu que ça a créé des mécontentements. Des foyers de rébellions se sont créés par-ci par-là. Il y a eu des accords de paix, mais des accords de paix de seigneurs de guerre. Une fois de plus, ce n’étaient pas de réconciliations puisqu’elles se sont soldées dans la tragédie parce que les personnes qui ont signé ces accords de paix, qui étaient des opposants, ont été finalement presque toutes assassinées les unes après les autres. Depuis plus de dix ans, nous n’avions cesse de réclamer que la question tchadienne soit traitée par un règlement global à travers les problèmes de fond et non à travers des ralliements, à travers des accords autours des intérêts juteux. Tant qu’on va dans ce sens, on n’avancera pas. Aujourd’hui, la vérité est là. Elle crève les yeux. On retombe aujourd’hui dans une crise jamais traversée par la passé.

Ialtchad Presse : Quelle est la position d’Idriss Deby par rapport à vos démarches ?
Massalbaye Tenebaye : Je crois qu’il faut être un peu d’une dose de lucidité. Aujourd’hui, nous, en tant qu’organisation de la société civile, nous nous positionnons en facilitateurs, en médiateurs. À partir de ce moment, nous n’aurons pas à juger. Dans tous les cas, le processus que nous engageons aujourd’hui est un processus qui n’exclue personne. Après tout, d’ici jusqu’à juin, le président Deby reste président de la République. Le processus que nous engageons ne peut pas l’exclure. Il est une pièce qui compte sur l’échiquier tchadien et donc il faudrait que tous ces acteurs politiques de la vie publique, qu’on les mette ensemble y compris Idriss Deby. On ne peut pas engager notre processus de paix en l’excluant sous prétexte qu’il a mal gouverné. Il faut laisser le soin aux Tchadiens de décider de son sort.

Ialtchad Presse : Que va-t-il se passer au-delà du mois de juin 2006, sachant maintenant que la présidentielle est prévue pour le 3 mai prochain ?
Massalbaye Tenebaye : Alors au-delà du mois de mai prochain, d’abord nous pensons aujourd’hui que les conditions ne sont pas réunies pour organiser des élections présidentielles. Politiquement et techniquement ce n’est pas possible, ça c’est clair. C’est pour cela que nous demandons d’abord qu’il y ait des préalables. Il faut d’abord l’organisation d’un dialogue national, d’une paix globale à l’issue de laquelle une transition devra déterminer les conditions dans lesquelles les élections pourront se dérouler. Il faudrait établir au préalable de règles très précises qui conditionneront ces élections. Il faut, avant d’aller aux élections, que les questions de fond soient réglées ; Les questions de mal vivre ensemble soient réglées ; Les questions de l’armée ; Les questions du développement ; La création des conditions pour que les énergies se libèrent ; Les questions de la règle du jeu d’accès au pouvoir ou de l’exercice du pouvoir dans la transparence et en toute démocratie soient réglées. C’est tous ces préalables qu’il faut régler avant d’aller aux élections. Nous pensons qu’il faut prendre en considération tous ces éléments, il faut une période pour résoudre tous ces problèmes avant de prétendre aller aux élections. Il faut garantir la paix et la stabilité afin d’arriver à des élections sûres, transparentes, libres et démocratiques

Ialtchad Presse : Pensez-vous que Deby accepterait des résolutions qui iraient en sa défaveur au cas où il faudrait organiser une table ronde ?
Massalbaye Tenebaye : À la place de Deby, j’accepterais cette occasion que nous lui avons offerte. Pace que là, il va droit dans le mur.

Ialtchad Presse : Quel est votre mot de la fin ?
Massalbaye Tenebaye : Mon mot de la fin, je crois à la Paix au Tchad.

Propos recueillis par Mohamed Ahmed KEBIR
Correspondant Ialtchad Presse

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