jeudi 28 mars 2024

La laïcité : quelle laïcité ?

Written by  Jan 10, 2003

Un débat très important est passé –presque- inaperçu il y a quelques semaines dans notre pays. Il s’est malheureusement arrêté aussi rapidement qu’il a commencé sans avoir de relais dans le public. Le sujet est en effet d’une délicatesse certaine et l’on ne saurait l’évoquer sans y laisser de plumes. C’est une question nationale d’importance qui ne doit pas être occultée et mériterait d’être traitée dès maintenant avant qu’il ne soit trop tard. Il ne sert à rien de se cacher sous un manteau de laïcité ou de nationalisme quand on sait que les braises d’un affrontement religieux ou régionalo-religieux sont encore ardentes au Tchad ; il est vrai que d’épaisses cendres les couvent encore, mais nous savons qu’elles pourraient s’envoler à la moindre bise : alors, pourquoi ne pas en parler ?

Dans la seconde quinzaine du mois de juin dernier, les Catholiques ont organisé un atelier de formation des formateurs d’observateurs électoraux, dans la perspective de probables élections communales, et après des élections présidentielles et législatives controversées. Ce qui nous paraît tout à fait normal et responsable de la part d’une grande institution nationale qui n’a pas marqué de parti pris en la circonstance. Le ministre de tutelle lui-même n’y a pas vu de problème, puisqu’il y a délégué un représentant. Mais quand les Catholiques ont annoncé que les observateurs ne devaient pas seulement se contenter d’observer, mais qu’ils devaient dénoncer les élections si elles étaient truquées, cela n’a pas plu au pouvoir. Le ministre y est allé d’une réplique virulente où la menace le dispute à l’intimidation : assimilation à un parti politique, intégrisme déguisé, pas impardonnable franchi, mise en garde sévère…tous les ingrédients classiques ont été utilisés contre l’Église Catholique.

Celle-ci, assurément, est décidée à ne plus s’en laisser conter et, dans un communiqué signé de l’Union des Cadres Chrétiens du Tchad (UCCT), a remis vertement le ministre dans son fauteuil. Morceau choisi : « n’est-t-il pas du devoir de l’Église d’enseigner à ses fidèles le rôle qu’ils doivent jouer le jour des élections et surtout leur responsabilité dans la situation que vivent leurs concitoyens en portant leur choix sur tel ou tel candidat ? Où est donc le délit ? Pourquoi autant de peur, de menace, d’intimidation lorsque l’Église Catholique cherche à instruire ses fidèles, ce qui peut être utile pour la société tout entière ? NON ! Notre Église doit s’adapter aux réalités sociales et politiques de l’heure. Les citoyens chrétiens ne veulent plus vivre dans l’obscurantisme, la terreur, l’oppression, le mépris… C’est contre tous ces aléas que la commission Justice et Paix s’est donnée la mission de sortir les chrétiens de l’ignorance de leurs droits et devoirs, de les aider à travailler pour que le Tchad soit une patrie de paix… A bon entendeur, salut ! »

Le débat aurait pu rester à ce niveau si la presse ne s’en était mêlée Les deux principaux journaux de la place, Le Progrès et N’Djaména bi-hebdo ont consacré à l’incident des commentaires inédits qui ont jeté l’huile sur le feu, mais sans provoquer, en notre connaissance, de réaction de l’une ou l’autre partie.

N’Djaména bi-hebdo a réservé toute la « une » du n° 600 du 4 juillet à l’affaire, par l’éditorial « une concurrence déloyale ?» et le dessin humoristique « l’Église Catholique diabolisée ». Le ton est mesuré, en dessous de la tonalité habituelle du journal qui, en l’espèce, a défendu les principes et s’est interrogé sur le bien-fondé du « tir nourri contre l’Eglise Catholique ». Il n’y aurait rien à redire si le n° 602 n’avait réservé toute sa dernière page à la polémique. Sous le titre : « la politique de deux poids, deux mesures », le journal prend cette fois ouvertement position pour l’Eglise Catholique dont il cite tous les bienfaits et bonnes initiatives et tente d’assimiler le gouvernement au clergé musulman. Tout l’article est un mélange insidieux des positions du journal avec le communiqué de l’UCCT qu’il signe : la rédaction ! Comprenne qui pourra. 

Le Progrès du 15 juillet 2002, lui, renvoie les deux premiers dos à dos, et présente l’affaire comme une position de la communauté chrétienne qui cherche à s’imposer aux autres au nom de la laïcité. Dans la droite ligne éditoriale du journal, l’article intitulé «le tamponnoir de l’Église Catholique » occupe deux pages, tandis que le billet quotidien « avec sourire » qui fait rarement sourire y est revenu. Sous la signature de son directeur de publication, le journal passe allègrement de l’information au commentaire, parfois confusément, mais avec insistance et sans jamais convaincre, contre l’Église Catholique.

Le Progrès écrit deux contre-vérités qu’il faut relever : le cheikh Hissein Hassan « aurait fustigé le comportement d’un candidat musulman de l’opposition, en demandant de soutenir un Musulman au détriment d’autres lors de la dernière présidentielle, il a essuyé tous les tirs francs, même de certains Musulmans. Le chef de la communauté majoritaire du pays est ainsi réduit au silence quant à son implication politique. Aujourd’hui l’on appuie, au contraire, l’église Catholique à s’immiscer dans les consultations électorales, sans voir aucun danger venir ».

En l’espèce, l’usage du conditionnel nous paraît quelque peu spécieux, voire vicieux, car le comportement du cheikh surnommé « colonel » dans la communauté musulmane dont il n’est nullement le chef, a été sans ambages et scandalisé plus d’un citoyen. D’autres ont été choqués par le fait que le cheikh n’ait pris en compte, lors de la dernière présidentielle, que les deux candidats issus du Nord et omis les deux autres du Sud. Le cheikh et les autres Musulmans Nordistes feraient-ils de la ségrégation régionale islamique, ou, y aurait-il deux poids deux mesures ? Nous sommes déjà au cœur du débat, car au fond, c’est la question religieuse qui est en cause, avec sa dimension politique tchadienne.

Une dizaine de fois, dans ce numéro, Le Progrès insiste sur l’aspect majoritaire de l’Islam au Tchad et affirme que ce fait seul pourrait donner le droit aux Musulmans de refuser, par exemple, la laïcité qui leur est imposée par une Constitution d’inspiration chrétienne ! Si cette affirmation grave devait être largement partagée au sein de la communauté musulmane, alors, il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme, car notre pays couve une grave crise qui va nous exploser entre les mains à court terme. Cela donne des frissons dans le dos, car le phénomène rappelle la situation de 1979 où Hissein Habré a eu à galvaniser pour rassembler autour de lui des Musulmans, qui ont servi en définitive une cause qui était loin d’être la leur et n’a rien rapporté à leur religion. Vingt-trois ans après, devons-nous revenir à la case de départ ? J’en ai bien peur.

L’Islam au Tchad a toujours été tolérant et cela est tout à son avantage. Ce qui veut dire que les accents guerriers de ce genre ne peuvent pas trouver d’écho dans l’opinion, puisque la communauté musulmane tchadienne est multiforme et se compte dans toutes les régions du pays. Si le journaliste du Progrès devait aller au bout de son idée, il devrait défendre clairement l’option d’une République islamique. Je crois qu’il a dû lui-même mesurer les limites de cette démarche et n’a pas osé -pour le moment ?- franchir le Chari ! Il revient souvent de certains Musulmans tchadiens (intellectuels ?), qu’ils ne sauraient tolérer davantage la laïcité qui ne rime pas avec l’Islam ! Je me contenterai de citer le débat sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne dans JA/L’Intelligent du 15 décembre 2002 où Alain Faujas écrit : « quelle Europe voulons-nous construire ? Nous la voulons laïque, au sens français du terme, c’est-à-dire séparant nettement la sphère privée, à laquelle appartient la religion, de la sphère publique, où se règlent les affaires de la cité. Car c’est la seule façon de préserver la paix et d’éviter les ravages de l’intolérance et du tribalisme. La laïcité n’est pas l’absence de religion, mais la coexistence des religions, des agnosticismes et des athéismes (…) La Turquie devra nous apporter cet islam sécularisé qui fera barrage à tous les fondamentalismes. » J’adhère parfaitement à cette opinion que je rapporte au Tchad. Ne nous laissons pas aveugler par l’ignorance qui prépare le lit de l’intolérance et du rejet de l’autre. En l’espèce, nous ne ferons jamais mieux que d’autres pays plus Musulmans que nous et qui nous entourent.

Ce qui me désole, avec mes coreligionnaires, c’est l’absence de débat. Le débat dans le monde d’aujourd’hui, par exemple, ne porte plus sur la religion au premier niveau, comme semblent s’y complaire certains Tchadiens. La question que les Musulmans se posent est de savoir comment mettre la religion au service de la démocratie et du développement, pour atteindre les performances démocratiques et sociales des sociétés avancées, sans les perversions qu’elles entretiennent en leur sein. Les Musulmans de par le monde réfléchissent profondément à l’avenir en s’ancrant dans la modernité par la maîtrise de la science et de la technologie. De ce point de vue, ceux d’Asie, les plus nombreux de la planète, y sont arrivés, tandis que ceux du Proche-Orient commencent à y arriver. Les guerres qui ensanglantent ces régions et la volonté américaine de réduire certains pays au silence est la réponse occidentale à la lutte des moins nantis de se frayer une voie et de s’imposer avec leur culture…et leur religion. Les Asiatiques sont respectés depuis quelques décennies tandis que les Arabes, avec les évènements que nous vivons, sont en train de l’être. Ce n’est qu’une question de temps.

Et les Noirs dans tout cela ? Le débat n’est pas exactement celui-là, mais il pourrait être dialectiquement le chemin pouvant guider les Tchadiens, en particulier les Musulmans du Tchad. Il me semble que l’Islam tel que vécu au Sénégal, Mali, Niger, Nigéria…ou même au Soudan voisin, plus militant et éclairé, ne porte pas les stigmates de l’arriération et de l’acculturation entretenue dans notre pays où la majorité musulmane n’atteint pas l’importance des pays cités. D’ailleurs, de quoi peuvent se prévaloir les Musulmans tchadiens, sinon que de donner une mauvaise image de leur religion par les tares qu’ils inoculent ? Le Tchad, n’est-il pas depuis vingt-deux ans dirigé par des Musulmans qui ont fait de leur pays un non-Etat, une non-nation, sous-éduqué, acculturé-négativiste, livré à des hordes de tueurs, de pillards et de prévaricateurs qui, faute de se réclamer d’un combat pour l’Islam, l’utilisent grossièrement pour diviser le pays en deux ? Le gouvernement agit d’ailleurs dans cette ligne héritée du CCFAN dont on sait qu’il est encore le maître à penser idéologique de nos princes qui n’ont, malheureusement pour le Tchad, aucune autre vision politique.

Les exemples sont nombreux et édifiants. Au sommet de l’Etat, dans les structures politiques, administratives et militaires, la domination nordiste est patente, arrogante et révoltante car non justifiée et contre nature, parfois. Un coup d’œil sur l’organigramme de la présidence de la République ou de la haute hiérarchie militaire et paramilitaire est éloquent. La justice est rendue au détriment des sudistes, surtout quand elle l’est par les gendarmes dont on sait que presque tous les commandants de brigade sont issus de la même ethnie. La même situation est observée aux douanes où, non seulement les Nordistes sont traités avec faveur, mais les responsables à tous les échelons détournent purement et simplement les recettes qui manquent gravement dans les caisses de l’Etat en faillite. Même dans le privé, où les talents ne manquent pourtant pas au sein de toute la communauté nationale, ce sont les Musulmans et singulièrement le clan, qui s’imposent aux autres Tchadiens. Le transport en commun urbain et rural, le charbon, le pétrole…tout est entre leurs mains. La difficile, devenue l’impossible cohabitation agriculteurs-éleveurs ne trouvera jamais de réponse tant que l’idée sous-jacente sera l’envahissement et l’occupation du Sud par les nomades. Le mal est tellement profond qu’il n’épargne pas nos enfants. En effet, la brutalité grandissante dans les établissements scolaires est l’une des conséquences de cette mauvaise politique du MPS qui apprend aux enfants qu’ils sont supérieurs à leurs maîtres, surtout si ceux-ci sont issus du Sud. Le crime de l’élève qui a poignardé son professeur en est un exemple, et le manque de réponse de l’administration une preuve : on aurait pu, au moins pour l’exemple, exclure de l’école tchadienne tous ces adolescents fiers de leur crime. Au lieu de cela, c’est plutôt un haut responsable qui est venu se confondre en explications inopportunes. Ainsi va le Tchad nouveau d’Idriss Déby !

L’honnêteté voudrait que les Musulmans rasent les murs, par la faute de leurs chefs politiques. Dans la phase actuelle de l’évolution du Tchad, ils portent une lourde responsabilité disqualifiante dans les échecs. Plus précisément et pour être juste, il s’agit de dénoncer leur avant-garde qui est une minorité agissante aux commandes. Comme en 1979, c’est elle qui prépare l’avenir du pays sur des bases totalement fausses. La politique menée par Idriss Déby depuis douze ans est uniquement d’essence et d’inspiration tribalo-régionalo-religieuse, pour se perpétuer au pouvoir, au profit exclusif d’une infime minorité qui a le même mépris pour tous les Tchadiens. N’est-ce-pas Déby qui, il y a quelques années, pour justifier l’implantation d’un projet dans sa région, a voulu sensibiliser un expert étranger en évoquant l’exemple des Tutsis au Rwanda ? …

Ceux des Nordistes qui, aujourd’hui, pensent bénéficier des privilèges du système, qui ne leur réserve en réalité que des miettes, se trompent lourdement et ils ne doivent pas entraîner la majorité dans leur erreur. Rares sont les hommes politiques qui dénoncent cette dérive qui porte atteinte à l’équilibre national. Gouverner un peuple, c’est savoir gérer toutes les différences pour en faire une dynamique porteuse d’espoirs et de mobilisation. Or, sous Déby, il y a plusieurs Tchad et le Nord lui-même est divisé en plusieurs parties. Il suffit de cocher sur une carte les projets réalisés ou en cours d’étude et les infrastructures socio-économiques réalisées pour se rendre compte de l’ampleur des injustices érigées en politique de gouvernement. Et tout cela dans un capharnaüm où Déby lui-même ne se retrouverait pas, car c’est tout, sauf du développement. Il n’y a que la Banque Mondiale qui semble s’y retrouver, au grand dam des Tchadiens qui n’y comprennent plus rien !

Le dernier découpage administratif est une autre preuve de ce dessein machiavélique et de cette obstination à gouverner contre tout bon sens. Sous le régime du MPS, le Tchad est passé de quatorze préfectures et une quarantaine de sous-préfectures, à 13 régions, 48 départements et 205 sous-préfectures, dans le seul souci de placer des hommes et de multiplier des prébendes. Dans un but évidemment électoraliste, puisque l’on y retrouve toujours la même tonalité régionaliste qui servira lors des futures consultations électorales, puisque ce découpage fait largement la part belle au Nord. Certains y voient un jalon dans la perspective d’un probable référendum appelé à tordre le cou à la Constitution pour permettre à Déby de postuler un nouveau mandat.

Car toute la stratégie qui se met actuellement en place ne vise qu’à mettre Idriss Déby sur orbite pour un autre mandat de cinq ans, sinon plus. Ses partisans ont-ils conscience qu’en 2006 Déby aura dirigé le pays pendant seize ans pour rien ? Qu’il aura fragilisé le pays qui sera divisé en deux et n’aura amorcé aucun développement ? Comme j’ai eu à le souligner par ailleurs, le régime actuel est le plus tribaliste que le Tchad ait connu depuis l’indépendance. Un dernier exemple : tout le système financier est entre les mains d’une ethnie. Cela est de plus intolérable et accentue la division du pays. Se demande-t-on pourquoi les fédéralistes gagnent de jour en jour du terrain ? C’est leur réponse à cette pratique d’exclusion systématique.

En conclusion, les patriotes du Sud et du Nord, fort nombreux malgré les apparences, doivent se mobiliser pour dénoncer et combattre cette politique qui hypothèque gravement l’avenir du pays. Car demain, ce sont les ressources du pétrole qui seront utilisées pour diviser davantage les Tchadiens et les opposer encore plus en Nordistes et Sudistes, chrétiens, animistes et musulmans, au profit d’un clan. C’est cela qu’il faut dénoncer et combattre vigoureusement, maintenant, car demain il sera tard. Ce débat s’impose à tous et fait partie des sujets que devrait traiter un grand forum national que les démocrates appellent de tous leurs vœux.

Saleh Kebzabo, député,
Président de l’UNDR

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